La guerre
Er brezél

Ambrose Bebb chez Loeiz Herrieu


Voici la traduction du texte breton K.L.T.,
qui est elle aussi, la traduction (Meriadec Herrieu) du texte gallois
de Ambrose Bebb venu visiter Loeiz Herrieu, en 1939.
Koroll an Ankou, lakeet e brehoneg gand Youen ar Louarn, Emgleo Breiz, Brud Nevez, 1998

Nous sommes arrivés à Hennebont (en train). Jamais je n'y suis descendu, mais aujourd'hui je le ferai, non pas à cause d'une très belle église, d'un château, d'une ville ayant des remparts et d'un musée breton intéressant. Non, mais simplement parce qu'il y a une homme appelé Loeiz Herrieu qui vit à environ 3 miles d'ici. C'est lui que je cherche et rien d'autre.

Où habite-t-i1? A la gare, ils ne savent pas très bien. Je vais au café le plus proche. Est-ce qu'ils le connaissent? "Loeiz Herrieu ... ?" Ils savent son nom, le nom de sa ferme, à la campagne, sur la route de la "Ville Neuve" Ce n'est pas très précis. Il pleut à torrents, maintenant, vers midi; le train pour Vannes, à 1 heure 30. Pas le temps de se promener.


-« Est ce que quelqu'un aurait une auto pour me conduire là-bas? »
-« Voici! »
-« êtes prêts? »
-« Le prix »
-« 15 francs »

Il faut faire vite et laisser ma musette au café. On prend la grande route d'abord, puis on tourne à droite. La pluie cesse peu à peu.

-« C'est là la maison. C'est là que vit L.H. »
-« Laissez-moi faire un tour pour voir s'il est chez lui, n'est-ce pas ... Oui! Il est là. Vous pouvez partir, merci beaucoup »
-« C'est vous M. Loeiz Herrieu? J'ai fait toute cette route exprès pour vous voir ».
-« Entrez, entrez donc! Vous avez déjeuné? »
-« Non, je suis venu en hâte d'Hennebont, tout exprès ».
–« Vous prendrez un train vers 5 heures ».

Pas moyen de refuser. Ce serait pas convenable ici.

-« Entrez, nous venons de terminer le repas. Vous aurez ainsi un déjeuner de paysan, fait à la maison! Il n'y a absolument pas moyen de refuser," dit ce Breton, accueillant ce grand homme, grand de coeur et grand d'esprit ... oui selon son génie breton. C'est un paysan, un paysan très poli, distingué.

Nous nous vantons, au pays de Galles, d'avoir un peuple poli, des carriers, des mineurs, des petits paysans qui sont vraiment éduqués et polis. Et, grâce à Dieu, il y a beaucoup de vrai en cela, mais il me faut dire aussitôt qu'il n'y a pas, parmi eux un Loeiz Herrieu, non aucun. Et ceci n'est pas les juger, ni leur faire honte.

Il est vrai que L.H. a des sabots de bois dans les pieds et qu'il porte les habits d'un paysan à son travail. Mais, je vous prie, est-ce d'après vos vêtements que l'on mesure votre taille (valeur)? Voici devant moi un homme qui a un corps qui a un peu plus de valeur, qui est plus grand que ses habits, et ses pensées et sa vie regardent plus loin que sa nourriture. Un homme au corps léger, souple, de bonne taille;des yeux intelligents et attirants; des cheveux, des moustaches, et une barbe bien noire en son milieu, bien qu'elle commence à grisonner dans son extrémité. En un mot, un des plus beaux visages que jamais oeil ne verra. S'il se promenait parmi les foules de Paris, il attirerait le regard des gens. Il a 60 ans, mais personne ne dirait cela à voir sa démarche vive et son esprit éveillé. On sent qu'il est débordant de vie! Un homme arrivé à son zénith, avec des idées bien mûres; Il me laisse un moment pour aller dire à sa femme de me préparer le repas! Je m'assois dans une salle assez grande, qui a une bonne fenêtre donnant sur le jardin à ma gauche; il y a une table au milieu de la salle, 4 chaises,2 bancs, un coffre, un vaisselier en 2 parties, une bibliothèque, tout cela en bois de chêne (erreur, c'est du châtaignier, Gwénaël dixit ), ça et là, chaque chose à sa place, comme il faut, d'un bout à l'autre de la salle.

Derrière moi un grand manteau de cheminée très beau; dedans, de chaque côté, une sorte de petit banc et, dehors, 2 rouets, un de chaque côté.
Sur les murs, pas mal , mais pas trop, de tableaux, la plupart sur la Bretagne. Sur la bibliothèque, le tableau de "La Mort" ( An Ankeu) par Jos Parker; et au-dessus des tableaux, faisant le tour de la salle, une hermine bretonne. Tout cela placé avec goût…

Avant que j'eus terminé de jeter un coup d'oeil à toutes ces choses autour de moi, L.H revient, accompagné de sa fille, en m'apportant le premier met de mon repas, c'est à dire un oeuf sur le plat, un choix de pain blanc et de pain de seigle, et du beurre. je commence ce déjeuner de paysan, qui vaut le meilleur "festin". Puis viennent le cidre et les haricots verts, puis les crêpes, tout cela est produit par la ferme, même l'eau de vie de pommes que l'on prend avec le café. la dame et sa fille avaient préparé ce repas sans avoir été averties, cela est une preuve de leur savoir faire. Une nouvelle preuve quand j'ai appris que la mère était l'auteur d'un" grand livre": une paysanne, dans un travail qui n'a ni commencement ni fin.

Avant que j'ai fini le repas, elle était arrivée là, une femme gentille, douce, au pâle teint, active, pour boire avec nous le café noir. Après avoir bavardé un peu, elle s'excusa et partit avec sa fille pour reprendre le travail.

L'entretien avec LH. fut sur le pays de Galles, puisqu'il y avait été une fois, mais surtout, sur la Bretagne, sur sa revue "Dihunamb":

- "Il y a 35 ans que je l'ai commencée. A cette époque, il n'y avait que 25 francs en caisse. Aujourd'hui ça marche et je peux payer les écrivains, pas beaucoup c'est vrai: 5 sous la ligne!"
- "Combien d'abonnés?"
- "Environ deux mille par mois, parfois plus ou moins. Nous avons la chance de l'éditer dans une grande ville, Lorient, et de faire assez de publicité."
- "Combien de temps pour composer un numéro de Dihunamb? "
- " Beaucoup ... Peut-être 3 heures tous les jours, tout compter: expédier des lettres diverses, des questions diverses. Environ 5 lettres tous les jours pour répondre aux questions. "
- " Et avec le travail de la ferme (assez grande!), comment pouvez-vous faire tout cela et lire ... ?"
- " Oui, c'est une grande ferme, qui a 40 vaches (non, à peine 20) . Les enfants m'aident. Oui, je lis beaucoup, au lit spécialement. j'ai 1300 volumes. Ces jours-ci, je lis Robinson Crusoë!"
- "Vous avez le temps d'écrire des livres sans ... ? "
- " Non! Impossible. je n'ai pas écrit un livre encore. Ma revue prend tout mon temps, toute ma force, et je suis seul. j'ai écrit des poèmes, au long des ans, et j'ai l'intention de les éditer, en partie du moins. Vous les verrez sans tarder. C'est tout, mais ma tête, depuis mon enfance, est pleine d'imagination et d'inventions imaginaires. Matière à romans, si j'avais eu le temps ... et peut-être en aurai-je un jour ou l'autre."
- "Vous écrivez tout en breton?"
- "Oui, c'est à dire depuis quelques années. J'ai eu toute mon instruction en français, en français entièrement, et j'avais de bonnes notes... Le maître d'école disait à tous les coups que j'étais le meilleur pour les rédactions françaises. j'avais écrit un roman, quand j'avais 14 ans, sur la révolution française, en français, Et un autre à 17ans. C'était idiot, c'est vrai, mais voilà, en eux il y avait mon imagination, j'ai toujours eu une grande imagination.
- " Comment avez-vous été attiré par le breton ?
- " j'avais 19 ans quand j'ai entendu Botrel chanter certaines de ses chansons sur la Bretagne, et bien qu'elles fussent en français, elles commencèrent à réveiller quelque chose qui était comme endormi, et qui m'ont fait penser: « Quoi? n y a quelque chose comme la Bretagne? ... mon pays mes parents, ma langue… » Et c'est ainsi que j'ai été attiré vers le breton et le réveil breton. J'avais commencé à écrire en breton, le breton du Morbihan et je n'ai pas cessé de le faire! "

Nous avons continué à parler des dialectes bretons, et L.H. croit que c'est une erreur d'insister si fort sur les différences entre le vannetais et les trois autres, et c'est à cause de Vallée et son école d'écrivains que l'on n'a pas accueilli chaque mot vannetais alors qu'il est plus semblable au mot le plus ancien.
il était heureux que ce dialecte ait donné le plus grand poète de la Bretagne de ce siècle: Kalloh.:

- « C'était un de mes amis. Il avait écrit à Dihunamb dès le tout début. J'étais plus âgé que lui, et il acceptait d'être guidé par moi et corrigé. Ma plus grande perte, ce fut de le perdre. Après cela j'ai rassemblé son travail et je l'ai édité ».
- « Je connais "Ar en daoulin", (je l'avais) oui, c'était un grand poète »
- « J'avais fait une réédition ensuite, beaucoup plus belle »
- « Alors le livre s'est toujours bien vendu? Très bien?"
- « Oui, très bien vendu, pas seulement en Breiz et en France, mais dans le sud de l'Amérique, aux U. S. A. , au Canada, en Italie en Hongrie, en Belgique, en Hongrie, et tout le monde l'admire. Oui, Kalloh était un grand poète, et il n'était pas encore arrivé à son zénith. S'il n'était pas mort, il nous aurait donné des poèmes encore plus beaux. C'est la plus grande perte que nous ayons eue. Il savait comment se perfectionner. Le grand défaut des jeunes bretons est de se précipiter pour trouver une imprimerie, sur le champ, sans maîtriser leur langue. J'ai honte de mes premiers écrits (oeuvres), de la poésie d'enfants. Et à chaque fois je conseille à tout jeune homme de commencer par la prose, jusqu'à ce qu'il soit maître de sa langue, faire de la poésie ensuite. Il nous faut des écrivains qui peinent pour découvrir les trésors de notre langue, ses expressions et ses richesses cachées. Pensez à X..... qui a édité plusieurs livres et qui ne connaît pas bien sa langue ( jusqu'à présent) ».

Mon ami littéraire sortit pour prendre une partie des livres qu'il avait édités, et le manuscrit de son livre de poèmes:

-« Voici la nouvelle édition du livre de Kalloh. Qu'en pensez -vous? Et voici le livre de ma femme, un livre de contes ».
-« Très beau! Un très gros livre aussi. Vous êtes une famille d'écrivains »
-« Et voici le manuscrit de mon propre livre, divisé en trois parties: poèmes de jeunesse, poèmes de l'homme mûr, poésies de la vieillesse. (Il s'agit de son livre "Dasson ar galon (les résonances d'un coeur, M.H.) ».

Il était assis auprès de moi et il allait de chant en chant(?), en insistant sur l'unité de l'ensemble. Arrivé au milieu de la deuxième partie, il est environ 3h.30, voici l'air déchiré par le cri glacial d'une sirène qui cornait, en montant et en descendant, une lamentation longue, triste, incessante. Un destin cruel qui criait malheur au-dessus des humains par une après-midi en sommeil.

- "C'est la guerre, dit L.H. Brezel! "
- "La guerre ? dis-je Que Dieu nous préserve ! »…….

Notre conversation était terminée. Nous nous sommes levés, nous sommes sortis. Dans la cour se trouvaient madame Herrieu et sa fille et 2 de ses plus jeunes enfants à côté, bouleversés tous les 3 par le hurlement entendu:

- "Vous avez entendu la sirène? dit-elle de sa douce voix. Serait-ce la guerre? "
- "La guerre ? pas sûr .... car toutes les cloches n'ont pas sonné. Peut-être la mobilisation générale ... Hervé est allé en ville pour se renseigner, dit-elle."

Silence.

Puis L.B.: -"Eh bien! regarde comme c'est beau d'être français maintenant!!"
Il est grand temps que je parte:
- « kenavo et mille fois merci de votre accueil. .. et de votre déjeuner merveilleux…kenavo, kenavo ! »
L.H. était venu me conduire sur la route en disant:
- "J'ai été à l'autre guerre d'un bout à l'autre, et j'ai été dans l'armée bien des années avant cela ..... une grande partie de ma vie. Et maintenant, j'ai trois garçons qui sont en âge d'être appelés ... demain ... ou le jour après!"

Avant de retourner, L.H. dit 2 ou 3 mots sur sa ferme en montrant son vignoble ..
- « Est-ce que la culture est payante en Breiz ? »
- « Non, tout le monde quitte la terre: tout autour de moi, j'en suis étonné ...Il n'y a que les faibles d'esprit, les boiteux et les estropiés qui restent travailler à la campagne aujourd'hui. Quant à moi, je suis heureux .... paix, santé, méditation(?) Sans cette tranquillité, je ne pourrais pas faire ce travail (intellectuel) ». N'est-ce pas la même chose qu'on entend au pays de Galles?

On se sert la main, séparation pénible, lui, vers sa propriété sans pareille, et moi vers Hennebont, pour le train de 5 h. J'ai marché rapidement, mais pas comme d'habitude. j'avais un poids non sur les jambes mais sur mon esprit: la sirène, la guerre ..... Bientôt je vois le premier garçon après avoir quitté L.R … Il coupe l'herbe du bord de la route, et chose bizarre, il est de la catégorie des boiteux!

– « Vous avez eu quelques nouvelles? Il
-" ya! dit-il épouvanté? La guerre est déclarée, ... à 3H15, un jeune homme (Hervé) est allé en moto à Hennebont, et c'est là... qu'il a su".
- Mobilisation générale?

Ambroise Bebb (gallois)


Lihérieu brezél (correspondance de guerre)

correspondance
Lennadenn lizhiri Loeiz Herrieu

Enrolladenn ag ur bomm a lennadennoù lizhiri Loeiz Herrieu.Un abadenn dalc'het d'ar 15 a viz Mae 2010 da geñver Noziad ar Mirdier e St-Degan.
Enregistrement d'un extrait des lectures des lettres de Loeiz Herrieu.Le 15 mai 2010, à l'écomusée de St-Degan, à l'occasion de la Nuit des Musées.

lundi 11 novembre 2002

En ce 11 novembre 2002, en hommage aux souffrances des hommes au front pendant la guerre 1914-1918 et à l'angoisse des familles à l'arrière, voici quelques extraits de correspondance d'un "poilu", Loeiz Herrieu mobilisé à l'âge de 35 ans le dimanche 2 août 1914 à la caserne Bisson à Lorient, au 88 e Régiment d'Infanterie Territoriale. C'est un régiment composé d'anciens, entre 33 et 43 ans dont le rôle est essentiellement logistique (réparer les routes, décharger du matériel, garder des positions que l'urgence oblige à dégarnir de troupes d'active ou de réserve). Loeiz Herrieu écrit régulièrement à son épouse et à ses 2 enfants, presque tou-jours en breton. Sur un total estimé à 1100 lettres, 621 ont été conservées.

23 Septembre 1915
Ma Fauvette chérie,

sommes venus nous installer ici hier. Depuis, toute la journée et toute la nuit durant, notre artillerie a tiré sans interruption, les oreilles... Les salves sont si rapprochées qu'on croirait entendre le mugissement de la mer...

Kenevo, me Vedig karet.
Au revoir ma Fauvette chérie.

Kenevo Herùé. Kenevo Néné.
Au revoir HeNé. Au revoir Néné.

Kenevo tad ha mamm.
Au revoir mon père et ma mère.

Karanté. Loeis.
Je vous aime. Loeis.

Si je venais à mourir, tu aurais le droit de percevoir une pension de sous-officier.
4 novembre 1915
Ça barde comme jamais. Suis cependant sain et sauf.
5 novembre 1915
Le temps sec est de retour; tant mieux. Les combats se sont maintenant atténués, mais nous avons encore eu des pertes: un homme est mort, un homme a perdu une jambe, un autre a eu le crâne fracturé...
15 novembre 1915.
Oui ma Fauvette, voilà que le mois noir est devenu le mois blanc, Il neige. (jeu de mot : novembre se dit "Miz Du" - le mois noir - en breton). Dis à Fine que j'ai reçu les renseignements concernant M. Questel. On n'est toujours pas certain qu'il soit mort. Auguste Le Gall pense qu'il a été fait prisonnier puisque son corps n'a pas été retrouvé.
9 décembre 1915
Le 88 ème au repos ! Voilà un an qu'on nous chante ce refrain. Veux-tu savoir ce que signifie repos pour nous? 6 ou 7 jours ici; repas de midi servi à 9h du matin, travail jusqu'à 5h sans interruption (transporter du bois, des obus, des bonbonnes de gaz asphyxiants, dans l'eau et la boue jusqu'à l'aine). On rencontre dans les boyaux des hommes dont on ne voit plus que les yeux : ils ne sont que boue de la tête aux pieds, des piliers de boue. Ils restent 6 jours comme cela, trempés jusqu'aux os, dormant dans la boue, sans repas chaud.
dous_gris
24 décembre 1915
Sainte fête de Noël à vous tous, là-bas, dans notre chère patrie. Destination "inconnue, nous sommes bien contents d'avoir quitté ce secteur où tant d'entre nous sont tombés, blessés ou tués.
A galon genoh hag a spered. Loeiz. ( De cœur et d'esprit avec vous. Loeiz)
Sul, 26 a viz Kerdu 1915
Me Vedig a garanté,

Bet e hues bet merhat er gartenneu e laren d'oh énnè é oen oeit kuit ag en "Ihuern". Arriù onn étal Meaux, én ur vorhig e vè groeit Iverny anehi. Hé havet e hreet ar er garten.

Ama en doè dereuet en tarhad bras e vè groeit emgann er Marne anehon. Lan é er vro a véieu. Didrous omb ha ne houlennamb meit un dra : chomel ama er pellan guellan. Er burèu e zo é ti deu zén koh, breur ha hoér, intanù ou deu hemb bugalé, hag en des reit d'emb ur gamprig get un daul rond. Aveit n'hor bo ket aneouid é hrant tan d'emb épad en dé.

Ur voéz aral 3 a vugalé dehi hag hé goaz èlonn sudard en des fermet ur gampr d'ein. Déh d'en noz em es kousket én ur gulé. Chetu 6 miz ne oè ket arriù kementral genein. Ne ouien ket mui forh kaer dré beh pen komans aveit um zihuskein. Kousket em es èl ur mén betag 7 eur hantér er mitin-men. Er voéz-sé e ia de vugadein men dillad eùé.

Kavet em es a hendaral ur héré ér vorh hag en des lakeit koed neùé édan me galocheu. Er hoed koh e oè brein.

Start é bet en hent aveit donet betag amen: èl em es laret d'oh, de hantér noz é omb oeit én trein hag é oè kreisté en dé arlerh a pe arriùezamb ér gar dichen. A zrebi er gar betag ama é hes 5 lèu vat e zo bet ret d'emb gobér ar droed ha glaù bras arnomb. (Dré voneur em boè me félerin). Chuéh brein e oen é arriù ama ; er sudarded ne hellent ket mui monet arauk. Meit dichuéh omb bremen hag eurus bout bet tennet a veg er blei. Ama ne gleuamb trouz erbet, meit en trouz en des lakeit Doué én Natur. Tro ha tro d'emb parkeu dru, gué ihuél, fréhaj ha tud amiapl, un iliz léh ma hellamb monet de bédein.

Meit chetu, ne gredan ket é vo hir hon arrest ama. Konz e hrér dohtu ag hor has pelloh de zichuéh : gorlamb.

Ma ne hues chet kaset am on en d'ein hoah, hui hello kas aben a pe reseueet er lihér-men, rak bihanneit mat é en tam aral. Men gourhemenneu de ré er lausk : goasket int er géh tud. De G. Loire eùé. Eit en argant : bout em es berpet ohpen kant Iivr arnein, memb a pe gasan d'oh argant ; n'um ziéset ket enta. Doéré erbet eùé à Louis nag a Job. (Kaset e hues é bakad de Job ?)

Bout em es bet doéré a Vellag, ag Er Garreg, etc ... Reskond e hrein aben a pe hellein, rak labour e zo arré en déieu-men. Nitra a neùé a hendaral. Ret é d'ein achiù rak é ma rah en ofiserion ama.

Kant bok.

Loeiz
Dimanche 26 décembre 1915
Ma Fauvette chérie,

Sans doute as-tu reçu les cartes dans lesquelles je t'annonçais que nous avions quitté "l'enfer". Nous sommes près de Meaux, dans un petit bourg nommé Iverny. Tu le trouveras sur la carte. C'est d'ici qu'est partie la grande offensive qu'on appelle la bataille de la Marne. Il y a des tombes partout. Nous sommes tranquilles et nous n'avons qu'un souhait: rester ici le plus longtemps possible. Le bureau est installé chez deux vieux, le frère et la sœur, tous deux veufs et sans enfants ; ils ont mis à notre disposition une petite pièce meublée d'une table ronde. Pour nous éviter d'avoir froid, ils y entretiennent du feu toute la journée.

Une autre femme, une mère de trois enfants dont le mari est soldat comme moi, m'a loué une chambre. Hier au soir, j'ai dormi dans un lit; voilà 6 mois que cela ne m'était pas arrivé. Au moment de me déshabiller, je ne savais plus très bien par où commencer. J'ai dormi comme une pierre jusqu'à 7 heures ce matin. Cette femme a aussi accepté de faire ma lessive.

Par ailleurs, j'ai trouvé un cordonnier dans le bourg qui a remis une semelle de bois neuve à mes galoches ; la vieille était pourrie.

Parvenir jusqu'ici n'a pas été une partie de plaisir. Comme je te l'ai dit, nous avons été embarqués dans le train à minuit; il était midi, le lendemain, quand nous sommes arrivés à notre gare de destination. Depuis cette gare jusqu'ici il y a bien cinq bonnes lieues que nous avons dû faire à pied et sous une pluie battante. (Heureusement que j'avais ma pèlerine). J'étais complètement crevé en arrivant; les hommes ne pouvaient plus mettre un pied devant l'autre. Mais nous sommes maintenant reposés et bien contents d'être sortis de la gueule du loup. Ici, c'est le silence; on n'entend que les bruits que Dieu a bien voulu mettre dans la nature. Tout autour de nous, des champs fertiles, de hautes futaies, des arbres fruitiers, des gens aimables, une église accueillante à ceux qui veulent y prier. Seulement voilà, je serais étonné que notre séjour se prolonge beaucoup ici. Il est déjà question de nous envoyer encore plus loin au repos : on verra.

Si tu n'as pas mis de beurre en route, le faire aussitôt dès réception de cette lettre: le dernier morceau est bien entamé.

Le bonjour aux Le Lausque ; ils sont bien frappés, les pauvres. Bonjour à G. Loire également. L'argent: ne t'en fais donc pas pour cela; je m'arrange toujours pour avoir plus de cent francs sur moi, même quand je t'en envoie.

Sans nouvelle de Louis ni de Job. (As-tu expédié son paquet à Job ?)

Lettres de Mellac, de Garrec, etc. Réponse dès que je pourrai car le travail ne manque pas ces jours-ci à nouveau.

Rien de neuf par ailleurs. Il faut que je m'arrête: tous les officiers sont ici.

Cent baisers.

Loeiz.


carte michelin n°56
Carte Michelin n°56

Loeiz Herrieu rentrera enfin chez lui, à Lanester en février 1919.

D'après la thèse soutenue par Daniel Carré le 05 juin 1999 à l'université de Rennes :
"Loeiz Herrieu, un paysan breton dans la grande guerre. Analyse de sa correspondance avec son épouse".

Extraits publiés par la revue AN DASSON, N° 48 et 49.


Thèse de Daniel CARRE, 5 juin 1999

Les conséquences de la guerre. 1919 -1932
extrait du résumé (pp. 75-81)

Loin de nous l'idée de poursuivre plus avant la narration de la vie de Loeiz Herrieu, mais il ne nous a pas semblé possible de clore toute cette longue recherche consacrée à l'homme dans la guerre sans jeter un regard, même rapide et succint, sur les conséquences du conflit sur la vie, les idées, les engagements de Loeiz Herrieu dans la période qui a immédiatement suivi son retour au pays; plus précisément jusqu'en 1932, date à laquelle on peut considérer, comme nous allons le voir, qu'il secoue, enfin, le joug de la guerre.

  1. Le retour au Kozh-Kêr. La Villeneuve: un nouveau départ.
  2. Le petit univers du Kozh-kêr a bien changé entre août 1914 et ce mois de février 1919 où Loeiz y remet les pieds : des voisins et des amis ont disparu, victimes de la guerre ou de la maladie et de la vieillesse; une route relie le village au bourg; les terres sont sans dessus-­dessous avec les travaux de terrassement arrêtés depuis l'armistice et tout le monde est inquiet à ce sujet. Par ailleurs l'Emsav renaît: on se bat à coup d'articles de presse au sujet de l'avenir de la Bretagne comme petite nation; Mellac souhaite la relance de Dihunamb au plus vite... Loeiz doit réapprendre à vivre, apprivoiser des enfants qui ne le connaissent pas, rassurer une femme qu'il n'a pas revue depuis presque cinq annnées ...

    L'urgence est d'assurer l'avenir de la maisonnée: impossible de l'envisager sur ce qui reste de terre exploitable. En décembre 1920, le gouvernement verse aux Herrieu une somme de 7000F pour solde de tous comptes (prix de la terre, préjudice causé depuis août 1918); c'est trois fois moins que ce qu'a calculé, en spécialiste, l'ex-sergent-fourner. Une misère avec l'inflation de ces dernières années. Heureusement qu'il reste quelques économies. Il faut déménager. On achète une grosse ferme (27 hectares) à la Villeneuve-St Caradec, à Hennebont. Cadre enchanteur au-dessus du Blavet, proximité de la gare (Loeiz y tenait afin de pouvoir se déplacer facilement) et de Lorient (à cause de Dihunamb). On y entre en 1921.

  3. Après l'esclavage de l'uniforme l'esclavage de la charrue.
  4. Le Kozh-Kêr : 3 hectares; la Villeneuve: 27 hectares. Pourquoi une ferme aussi importante tout d'un coup? Loeiz sera-t-il à même de la mener? En fait, c'est un calcul tout différent qui a guidé son choix: il pense qu'une grande exploitation est plus rentable financièrement, qu'il lui suffira d'employer un couple de domestiques à l'année pour, avec Vedig, son père et quelques journaliers occasionnels, faire marcher l'affaire sans que sa présence soit requise au-delà de quelques heures, voire quelques jours chaque semaine. Il lui sera donc loisible de reprendre ses activités bretonnes et journalistiques.

    Hélas ! le calcul s'avère faux: la guerre a provoqué des changements dont Loeiz est loin d'avoir pris la mesure exacte (il paie là son obstination à ne pas venir en permission): impossible de trouver un couple de domestiques capables, même en les intéressant aux bénéfices; la ville offre des salaires plus élevés, des conditions plus avantageuses et les meilleurs éléments vont s'y embaucher. Il faut donc déchanter. Loeiz se retrouve tout seul, avec son père et Loeiza, à conduire l'exploitation.

    Les choses ne s'annoncent pas très bien. Les premières années sont mauvaises (retard dans le travail, pertes d'animaux) et le remboursement des annuités d'emprunt grève lourdement un budget qu'on a toutes les peines du monde à équilibrer. Impossible cependant d'envisager autre chose que de continuer: le devoir de Loeiz est de subvenir aux besoins d'une famille qui grandit (quatre enfants naissent entre 1920 et 1927). Il s'y soumet, comme à une nouvelle croix que Dieu lui envoie, avec l'humilité et la patience qu'on lui connaît. Mais que d'amertume! Et dire que tout cela est la conséquence de la guerre ...

  5. Le barde-Laboureur prisonnier du ... labour.
  6. Le temps fait défaut, l'argent également Comment dans ce cas envisager sérieusement de mener de front, comme entre 1910 et 1914, le métier de cultivateur et les activités de barde au service de son peuple?

    En 1921, Dihunamb reparaît:, sous la même forme et avec le même contenu qu'avant guerre. Mais la revue peine à retrouver sa place, manque d'allant, à tel point que Mellac menace de mettre la clé sous la porte en 1926. Il faudra toute la pugnacité, toute la passion et l'énergie de Loeiz pour le convaincre de continuer ... comme avant, en dépit des difficultés rencontrées. Mais rien n'est règlé sur le fond du problème: on végète.

    Loeiz, retenu à la Villeneuve comme on le sait, n'a pas repris la place qui était la sienne avant la guerre dans l'Emsav qui a repris ses activités. Lui qui en était l'un des phares, l'un des piliers les plus solides, les plus généreux et les plus convaincus a maintenant quasiment disparu du devant de la scène. Il a démissionné du secrétariat de la Fédération Régionaliste, a pris ses distances avec le Gorsedd depuis que celui-ci s'est folklorisé sous l'influence de Taldir et de ses amis, ne fréquente plus guère ses amis d'autrefois dont certains ont quitté la région (Le Berre, Koed-Skaù ... ), se sont éloignés de lui (Mocaer, le Diberder ... ) où ont suivi des voies qui ne sont pas les siennes (Job Le Bayon ... ). Pire encore peut-être: il se voit contraint de refuser aux jeunes de Breiz Atao, qui le sollicitent à plusieurs reprises, une aide qu'il souhaiterait tant pouvoir leur donner dans leurs journaux, dans leurs combats. Il devra même dénier l'offre qui lui est faite d'aller, tous frais payés, prendre la parole au nom de la Bretagne au procès des Alsaciens à Colmar en 1928. Cette même année 1928, il refuse, toujours pour les mêmes raisons (manque de temps, difficultés financières) l'offre des démocrates chrétiens du secteur d'Hennebont d' être leur candidat aux élections à la Chambre.

    La détresse de l'homme est perceptible dans le courrier de cette époque dont de nombreux brouillons ont été conservés. Il fait cependant face : on ne fuit pas devant son devoir, on plie et on attend que Dieu veuille bien mettre un terme à ses épreuves. Car la foi de Loeiz est intacte, semblable à celle du soldat: on mesure l'amour de Dieu aux croix qu'Il vous envoie pour vous aider à faire votre salut.

  7. 1932 : la délivrance.
    1. Une action très limitée.
    2. L'arrivée à la ferme de Gwénael, l'aîné des fils, une fois ses études agricoles terminées, sonne, pour le père, l'heure de la libération du joug de la ... charrue. Mais n'est­-ce pas trop tard ? Loeiz a maintenant 53 ans Comment reprendre la mission là où il l'a laissée en 1914, 18 ans plus tôt ? Le pays et les hommes ont tant changé.

      Rien à faire en tout cas du côté du Gorsedd qu'il ne fréquente plus du tout à partir de 1932-33; il en vient même à se demander comment il a pu être membre de ce collège à la vue de ce que sont devenus les bardes. L'action de la Fédération Régionaliste se limite à l'organisation d'un congrès annuel et à la publication d'un bulletin dont l'ami Jean Choleau est le principal rédacteur. Rien à attendre non plus du Bleun-Brug au succès duquel Loeiz n'a jamais cru; ses craintes se sont d'ailleurs vérifiées: la hiérarchie catholique vient de le museler. Les jeunes du mouvement Gwalarn, tous extérieurs au Vannetais, ne le connaissent pas: il n'a rien publié qui puisse les intéresser et lui-même ne goûte guère certaines de leurs ... expériences littéraires. Le Vannetais semble d'ailleurs en sommeil, en retard sur les autres parties de la Basse-Bretagne; quelques jeunes gens, pourtant, s'intéressent à ce qu'il écrit dans Dihunamb. La situation est en fait peu encourageante. Inutile de songer à reprendre le bâton de pèlerin d'avant guerre pour aller de paroisse en paroisse ... Il faudrait imaginer d'autres méthodes plus modernes, plus en rapport avec le temps. Mais, à 53 ans ... Surtout si l'on se sent quasiment seul. Donner une coloration plus politique à Dihunamb pour faire réagir, provoquer un sursaut? Ce n'est pas dans la logique de Loeiz (les Bretons ne doivent pas se diviser sur des questions de politique); et puis le nombre de lecteurs n'est pas assez important (quelques centaines) pour que l'on courre le risque d'en fâcher quelques-uns ...

      En 1935, il relance la Confrérie du Breton Vivant (Brediah er Brehoneg Biù) destinée à accueillir en son sein des hommes et des femmes qui ont pris l'engagement d'employer la langue dans toutes les situations de la vie, d'être en fait des témoins devant la masse des bretonnants si prompts à l'abandonner pour le français. Elle ne se veut donc pas une association de masse, mais plutôt une élite, un peu à la manière des Cercles d'Etudes sillonistes. A l'initiative des enfants de Loeiz, une troupe de théatre est créée qui va donner ses représentations dans les kermesses, les patronages; une journée de la langue bretonne est organisée chaque année dans une commune différente. Si l'engagement des membres est au­-dessus de tout éloge et le moyen d'approcher le peuple particulièrement bien choisi, l'influence ne semble pas avoir été très importante.


    3. De nouvelles idées force.
    4. Loeiz ne retrouvera plus jamais l'allant, la vigueur de l'éveilleur d'avant 1914. Il a vieilli, son public a changé et le clergé qui lui préparait le terrain est maintenant beaucoup plus réticent: il n'a plus besoin du Barde-Laboureur pour rassembler les jeunes (le football, le cinéma du patronage, la perspective d'une excursion à la mer ... y suppléent) et il n'apprécie plus du tout les discours régionalistes autres que folkloriques. Conséquence inattendue mais indubitable de la guerre : les bretons sont devenus en quelques années plus français que les français ! ...

      Le discours de Loeiz se radicalise dans Dihunamb à partir de la fin des années 1920: le combat pour la survie de la langue est vital si l'on veut préserver l'identité bretonne; la Bretagne a le droit de s'opposer à la France qui étouffe sa personnalité et refuse de reconnaître le sacrifice que la Bretagne a consenti pour sa défense; si la France continue à lui nier ce droit, les bretons doivent se préparer à le prendre de force lorsque l'opportunité se présentera (et elle viendra, car Dieu punit les mauvaises nations oublieuses de leurs promesses et de leurs devoirs envers celles, plus faibles, sur lesquelles l'histoire leur a permis d'étendre leur pouvoir); la solution pour la France et la Bretagne, la solution pour la paix en Europe est le fédéralisme. Que l'on ne se trompe pas cependant: Loeiz ne veut ni créer un mouvement politique, ni même inciter ses lecteurs à adhérer à l'un quelconque de ceux qui existent. Son propos est simplement de diffuser un certain nombre d'idées, très influencées comme on le voit par son expérience de la guerre, qui lui semblent importantes. Ceci afin que l'on n'oublie pas, qu'on se tienne prêt .

      Va-t-il jusqu'à proner l'usage de la force par un pays pour la reconquête de ces droits? Jusqu'à justifier la guerre ? .. Il ne fait aucun doute que Loeiz Herrieu, comme les autres combattants de la Grande Guerre dont c'est encore une conséquence, a été très marqué par la force. C'est la force qui a permis de vaincre l'Allemagne qui n'avait pas voulu écouter le droit. A ce titre, il est probable, même s'il ne le dit pas ouvertement dans Dihunamb, qu'il est prêt à en accepter l'usage par la Bretagne. Mais attention! la force n'est pas nécessairement synonyme de violence guerrière, de massacre; ce peut être profiter d'un moment de faiblesse de l'adversaire pour lui arracher ce qu'il doit. Loeiz appellera ses lecteurs à se souvenir de cela à l'été et à l'automne 1940.

      Son regard s'étend, bien plus qu'avant 1914, aux autres pays d'Europe; en particulier aux efforts des petites nations. La vision qu'il semble en avoir est cependant tronquée, à cause sans doute du peu d'informations contradictoires dont il dispose et de ses idées préconçues. Il n'est pas sourd aux thèses racistes qui courent à travers le vieux continent; il les accepte, comme les accepte l'immense majorité de ses contemporains, en particulier les catholiques de tradition. Est-il au courant des premières mesures racistes prises en Italie et en Allemagne par les fascistes? En tous cas il n'en parle pas. Mais on ne peut s'attendre à ce qu'il ait désapprouvé des lois édictées, comme le dit la propagande officielle qu'il ne conteste certainement pas, pour protéger la race (race, nation, sang, culture, civilisation... sont des notions confondues chez Loeiz, et il emploie facilement ces termes l'un pour l'autre) dans la mesure - et il est très clair là-dessus - où l'application de ces lois «ne va pas à l'encontre des commandements de Dieu».

  8. L'image de la guerre.
  9. Loeiz Herrieu est-il hanté par ses souvenirs de guerre? II ne semble pas; du moins aux dires de ses enfants. Mais cela ne signifie nullement qu'il l'a oubliée: comment le pourrait-il quand sa situation la lui rappelle chaque jour ?

    Avec les lecteurs de Dihunamb, il est l'artisan de l'hommage rendu à Bleimor à Groix, en 1924. En 1932, lors d'un congrès du Bleun-Brug, il replace la mort du poète groisiIIon dans la perspective qui fut la sienne, rappelant qu'il n'avait pas donné sa vie pour la France, mais pour le Droit, Dieu et la Bretagne. Ce discours nous donne aussi l'occasion de voir une fois de plus, alors que le point de vue officiel de l'Eglise a changé, la constance de Loeiz dans ses opinions quand il met très fortement l'accent sur la valeur rédemptrice des épreuves de la guerre, sur le prix du sang des justes réclamé par Dieu en holocauste pour la paix. Cette conception, il l'énoncera à nouveau huit ans plus tard, dans l'éditorial du numéro de juillet 1940 de Dihunamb (Dorn Doué, la main de Dieu) qui scandalisera bien des ... prêtres; même parmi ceux qui avaient tenu les même propos 25 ans plus tôt du haut de la chaire.

    On ne s'étonnera pas d'apprendre que Loeiz n'adhère à aucune association d'anciens combattants: leur discours ne peut que le rebuter. Il ne semble pas non plus participer aux grands rassemblements que Dihunamb ne prend pas la peine de signaler. En 1930, il demande sa carte d'ancien combattant.

    Les bruits de guerre que l'on entend de nouveau très distinctement à partir du début des années 30 l'inquiètent: et si «cette abomination qu'on appelle la guerre» revenait déjà ? Loeiz craint tant de la voir renaître des cendres de la dernière, de la paix mal faite dans le mépris des vaincus, des menées nationales cocardières, de l'incurie des hommes politiques, français en particulier, qui ne voient pas que la paix se trouve dans l'institution d'une démocratie plus respectueuse des droits, fédéraliste. S'il partage donc les craintes des pacifistes, il ne retient ni les méthodes qu'ils préconisent pour arrêter la guerre, ni leur angélisme en ce qui concerne l'établissement d'une paix universelle. D'un autre côté, il résiste à la légende de la guerre glorieuse, au sang allègrement versé, à la mort librement consentie dans les plis du drapeau... Rien ne saurait en fait mieux nous éclairer sur sa conception du malheur qui a ravagé le monde durant quatre années et demie que la réponse qu'il fait en 1936 à l'abbé Marouille qui lui demande, au nom de Mgr Tréhiou, l'évêque de Vannes, de proposer quelques phrases en breton que l'on pourrait graver dans la pierre du monument érigé à Ste­Anne-d'Auray quelques années auparavant. Voici la traduction du brouillon retrouvé dans les papiers de Loeiz: «Je ne sais pas exactement ce que l'on souhaite. Si ce sont des mots pour louer leur sacrifice (comme on dit) ou bien des choses du même genre, ne comptez pas sur moi car je serais forcé de mentir. J'ai connu nombre de ces malheureux, et je sais qu'ils sont morts contre leur gré, qu'ils n'ont pas eu la moindre pensée pour la France quand ils sont tombés ... à moins que ce ne fut pour la maudire de les avoir menés à la mort pour arrondir la fortune de certains.

    Par ailleurs, il est bien des choses que l'on pourrait graver sur ce monument, mais Monseigneur l'évêque ne voudrait ne pourrait les accepter. Je ne vois donc que des choses comme celles-ci qui ne feront de peine à personne:


    Ils sont morts pour apprendre aux hommes à s'aimer.
    Ou bien encore
    Dans la force de leur âge, ils sont tombés par milliers Pour qu'il n'y ait plus entre nous ni haine ni guerres.
    Dans la force de l'âge ils sont morts loin de leur patrie / de la Bretagne. En pensant à leur mort, apprenons à nous aimer.
    Ils sont tombés / morts loin de la Bretagne, victimes de la haine. Pour que règne l'amour, qu'ils nous apprennent à nous aimer».

    Comme de juste, rien de cela ne fut retenu.

Ur peizant a Vreizh er Brezel Bras
Emgav get Daniel Carré




Kempennet diàr an atersadenn embannet e
AL LANV, niverennoù 90 (miz Here 1999) ha 91 (Miz Genver 2000)
Azazaet hag adwelet get D. Carré ; miz Eost 2011.

D'ar Sadorn 5 a viz Mezheven en doa Daniel Carré kinniget e dezenn doktorelezh, e Skol- Veur Roazhon II, a-zivout « Loeiz Herrieu, ur peizant breizhat er brezel bras. Dielfennadur e genskriverezh get e vaouez . »
Lan e oa sal an tezennoù, tost da 4 euriad en doa dalc'het ar gomz dirak ar juri, Yann - Ber Piriou, rener an dezenn, Donatien Laurent hag Jean-Yves Plourin a U.B.O. Brest, Michel Nicolas ha Gwendal Denez a U.H.B. Roazhon II ha dirak ur saliad kerent ha mignoned, lod anezhe klaskerion pe skolveuridi. Berr e oa bet kavet an amzer get an holl ha ne oa ket bet gwelet an enderviad é tremen.
Savet e oa bet Daniel Carré da zoktor get ar meneg enorus-bras ha gourc'he-mennoù ar varnerion. DIe oa dezhañ goude ar mell labour en doa graet. Lakaet hor boa emgav d'ar Merc'her 18 a viz Eost evit komz diàr e dezenn. Berr em boa c'hoazh kavet ma amzer an deiz-se ha diskuizh e oan daet d'ar gêr rak n'eus netra aesoc'h evit lakaat Daniel da gomz. Pell-bras, pemp euriad, e oan chomet da ziviz ha da selaou doc'htañ dreist-holl. N'hellin ket lakaat pep tra amañ, re hir e vehe, met danvez daou bennad am eus tennet ag ar pezh en deus lâret din. D. Doujet
D. DOUJET: Peseurt palioù ho poa lakaet d'ho studiadenn diàr-benn Loeiz Herrieu?

D. CARRÉ: Daou bal a oa d'ar studiadenn: ar pal kentañ a oa gwiriiñ an testoni brezel rak tud 'zo o deus skrivet o brezel hep bout bet james er brezel, pe diàr ar brezel pe ur sort testoni soudard met n'eo ket an dra-se o deus bevet. Skrivet o deus pell àr-lerc'h get an tamm marsoñj o doa. Goude emañ daet tout ar vojenn àr ar brezel harozel ha gwerzh ar gwad skuilhet. Tud 'zo o deus skrivet o c'harnedoù brezel er blezioù 1950 c'hoazh, just a-raok mervel. Setu e oa ret gwelet pegen istorel ha pegen gwir e oa an testoni.
Hag an eilvet pal a oa mont davet an den, tostaat dezhañ ar muiañ posubl evit dizoleiñ e bersonelezh, peseurt den e oa, àr an dachenn psikologel, àr dachenn an temz-spered, petra en douge d'ober èl-mañ ha pas èl-se, àr betra e harpe e zibaboù, plas ar relijion en afer, lec'h an deskamant en doa tapet a-raok, ar mod ma oa bet desavet ... Daoust ma klote an traoù?
Un trivet tra a oa, met liammet get an eil, a oa gouiet ma oa bet chenchet an den get ar brezel. Kalz a dud 'zo bet merchet get ar brezel-se.
D.D. : Ha, fed ag ar palioù-se, petra ho peus-c'hwi kavet ?

D.C. : Evit gwiriiñ an testoni em eus labouret àr dri zra skrivet get Loeiz Herrieu. Skrivet en deus ur c'harned-brezel a zeiz da zeiz hag ar c'harnedoù-se ne oant ket bet embannet gwezh ebet betek bremañ na studiet get den ebet : e dalc'h ar familh e oant ha setu tout.
Embannet en deus ar c'harnedoù-se, komañset o embann, er blez 1933 ; da lâret eo naontek vlez àr-lerc'h bout komañset d'o skriv. Me 'n em lâre-me, tout ar pezh en deus-eñ bevet goude ar brezel, ar vuhez, ar gevredigezh é chench en deus marse lakaet anezhañ da chench, da zibab e-mesk an darvoudoù en doa lakaet en e garnedoù : kemeret lod da vout lakaet edan selloù an holl, lesket re arall er c'harned hep o degas da weI, chench ar feson da zegas an darvoud-mañ-darvoud evit lakaat al lennerion da gompren un dra dishañval doc'h ar pezh a faote dezhañ degas en e gamed ... An, traoù 'sort-se! ÈI-se e faote din labourat da gentañ: kenveriiñ an daou skrid.
Lakaet em boa " Kammdro " àr an urzhiataer ; tout ar c'harnedoù ivez, àr-bouez unan a zo kollet da vat moarvat, an hani kentañ. Komañs a ra ar c'harned e miz Mae 1915. Hag un deiz neuze, Gwennael aet ha lâret din, a-greiz ar gaoz : «Bout 'zo c'hoazh amañ un nebeud lizherioù skrivet da ma zad, da mamm. Bout 'zo anezhe e-barzh ar solier met n'eus ket kalz, un dornadig a zo marse. Daoustoc'h ma vehec'h intereset ?» Me 'lâre : «Ya, sur a-walc'h!» «Ya!» a lâre-en. Lâret a ran deoc'h n’eus ket kalz anezhe kar me m'eus-me losket ur bochad ... Eh an d'o c'hlask deoc'h.» A-boan ma oan erru er gêr, eñ aet ha pellgomz ha lâret: «Kavet em eus-int, amañ emaint!»
Me 'zo diskennet en-dro betek an Aire. Un dornadig a oa, gwir eo, met ur c'hant ugent bennak ur sort. Aze e oa danvez a bouez bras, evit tostaat d'an den hag evit gwiriekaat ivez an testoni roet get an daou skrid arall. Ha goulennet 'm eus getañ ma oa re arall. «Dam ... ya, ret 'vehe din klask !»

Klasket en deus ha kavet re arall. D'ar memes prantad-se emañ bet lakaet e Mellag, e maner Kernod, lod ag an dielloù a oa e Redene, e ti Ferrand.
Donatien Laurent, Fañch Postic, Jorj Belz, ha Jean­Luc Guillevic o deus komañset furchal e-barzh evit lakaat un tammig urzh ha lakaet o deus a-gostez evidin tout ar pezh a denne d'ar brezel bras. Hag aze 'zo bet kavet lizherioù arall c'hoazh. Setu sammad al lizherioù kavet a zo savet neuze da c'hwec'h kant ugent kasadenn ; kartennoù-post, met lizherioù dreist-pep-tra. En em gavet a raen get un trivet skrid, get un testoni arall ivez. E garned pemdeziek a oa bet savet getañ get ar soñj embann an dra-se e Dihunamb. Kammdro an Ankoù a zo bet komañset embann e 1933 met n'eo ket bet james echuet peogwir e oa bet bombardet an ti-moulliñ en Oriant e miz Genver 1943.
Aze en em gaven get ur skrid aralI na oa ket bet savet evit bout embannet met hag a oa un darempred eeun etre eñ hag e vaouez. Tout al lizherioù-se a oa skrivet d'e vaouez, da Loeiza ar Meliner. Enne e oa traoù na oant ket er c'harnedoù, nag e Kammdro, an traoù personel a denne d'an den ha d'an darempredoù etre Loeiz hag e vaouez, soñj e dud, soñj an dachenn, soñj ar vro memes. An holl draoù-se ne veze ket komzet anezhe, pe nebeut-tre, nag er c'harned nag e Kammdro..
Soñjet 'm eus a-benn: an dra-se eo a zo da vout lakaet e kalon al labour, ur wezh gwiriekaet an testoni, dizoleiñ pesort den e oa. Evidin-me n'eus ket prantad ebet gwelloc'h evit ar brezel evit dizoleiñ an den. An den a oa bet lamet ag e familh, ag e vro, ag e vicher, ag ar pezh a rae er vuhez pemdeziek hag a ranke en em zizoleiñ èl ma oa.
Evit gwiriekaat an testoni e oa ret ivez monet davet skridoù ofisiel an arme. Amañ em eus bet ar boneur da gavet ar «Journal Marche-Opérations» penn-da­-benn, evit an 88 vet R.I.T. , e Kastell Vincennes, er "Service historique des armées". Kavet 'm eus ivez ar fichennoù «État Journalier» lec'h ma veze skrivet niver hag anv an dud lazhet, gouliet ; ar pezh a oa fiskal evit gellet keñveriiñ get ar pezh a lâre Loeiz. Hag ur skrid arall c'hoazh goude a zo "Historique du régiment ", savet goude ar brezel. Koulz lâret an holl rejimantoù o deus savet an dra-se, ur meni kaier a veze roet d'ar soudarded kozh evit derc'hel soñj ag o amzer soudard, anv an ofiserion, an dud enoret, pe kastizet lod anezhe ivez ...
Lennet 'm eus ivez skridoù arall, levrioù embannet diàr-benn ar brezel ha skridoù tud arall, embannet pe diemban, tud kar da Loeiz Herrieu, o deus graet ar brezel ; kavet dre zegouezh evit lod anezhe, é kaozeal get unan pe an all. «Du-mañ 'zo c'hoazh skridoù, lizherioù ... »
Lakaet em boa ur c'halvadenn e Ouest-France, e ArMen.
Èl-se emañ daet din dastumadenn lizherioù Herve Deparscau du Plessis, ur paotr yaouank. Hennezh am boa dibabet dre ma oa Breizhad, katolik ; un den ag an noblañs enep republikan (brogarour gall abominapl neoazh). Eñ a oa bet desavet un tammig er memes feson èl Loeiz.
Èl-se ivez em eus bet karnedoù ha lizherioù Jozef Loth. N'eo ket ar Jozef Loth a anavomp-ni, met un Normand a oa Alzasian e dad-kozh. Orglezour a vicher e oa. Un den en oad get Loeiz Herrieu ; un tammig self-made-man 'mod-se ivez ; katolik, dimezet, daou a vugaIe dezhañ ; get ar memes soñjoù èl Loeiz Herrieu, er memes sort rejimant, ur rejimant re gozh, ur rejimant territorial. Hennezh em eus bet e skridoù get ur verc'h dezhañ hag a zo marv bremañ.
Un arall a zo c'hoazh : Pierre Couriaut, a Vaod. Eñ a oa ag ar memes blez èl Bleimor. Graet en doa e studioù e Kloerdi Santez-Anna. Kar-bras e oa da Loeiz Herrieu dre ma oa - Gall kar-e-vor, an dra-se a zo sur !, met ivez Breton kar-e-vro. Koumanantet e oa da zDihunamb. Ha den desket, katolik, dimezet, bugale dezhañ.
Setu, adal aze e c'hellen keñveriiñ. Hag en em zalc'het en doa Loeiz Herrieu èl ar re 'rall pe en ur feson arall ? Klask gwelet petra a c'helle bout kaoz ...
Ha dastumadennoù arall a zo c'hoazh, anavet -bras e Bro- Frañs, re Barthas, pe en Alamagn, re Remarque. Klasket 'm eus keñveriiñ get soudarded Bro-C'hall met ivez get soudarded alaman, re kar da Loeiz Herrieu, peizanted dimezet ha bugale dezhe. An disoc'h a zo biskoazh sklaeroc'h. Un testoni dispar eo, pa vez analizet an traoù doc'h reolennoù un den a vez sellet get an holl èl ar mestr àr an dra-se : Jean Norton Cru. Hennezh, hanter Gall ha hanter Saoz, en doa graet ar brezel 14 hag en doa lakaet en e soñj, goude, sevel un dezenn diàr an holl draoù embannet àr ar brezel pevarzek e galleg. Savet eo bet er blez 29 pe30.
Norton Cru en deus lakaet reolennoù evit muzuliiñ gwirionez un testoni brezel. Ha gouiet a rae a betra e komze peogwir en doa bevet èl soudard, hag e oa bet graet dezhañ ar brezel penn-da-benn.
Testoni Loeiz Herrieu a glot biskoazh gwelloc'h doc'h ar reolennoù-se dre mand eo liesdoare.
Al lizherioù : dastumadennoù lizherioù a zo bet embannet met lies-mat get tud ar soudard en doa o skrivet, goude e varv, evit en enoriñ. An dud o deus dibabet, lamet traoù e-barzh, pe savet traoù 'zo. Met, èl ma lâr Norton Cru, an dra-se n'eo ket testoni ur soudard met un testoni adwelet get tud n'int ket bet er brezel a-wezhioù, get tud o deus ur sort soñj ag ar brezel ha tud c'hoant dezhe sevel an hani en deus skrivet. Loeiz n'eo ket an dra-se. Aze hon eus un dastumadenn. Toulloù a zo, siwazh ! Mankiñ a ra un drederenn ag al lizherioù a zo bet kollet, losket ... Troioù unnek kant lizher a oa en holl. Skriv a rae d'an nebeutañ ur wezh bep daou zeiz. Erru a rae getañ skriv teir gwezh en un deiz, pas tri lizher met div gartenn hag ul lizher da noz, lakaomp. Ur wezh m'emañ skrivet al lizher, n'heller mui cheñch tra ebet e- barzh, kaset eo ! Ul lizher ho peus un deiziad er lein, n'heller ket mui cheñch an deiziad. Pa lârer : «Lun 13 a viz C'hwevrer 1915, Eh omp atav e Bourg-et­- Comin ...», emañ aes gwiriekaat e dielloù ar rejimant.
«Ar mintin-man 'zo savet bec'h etre allinennoù ...» lakaomp er blez seitek, e miz Meurzh «An Alamaned o deus en em lakaet da denniñ... » An dra-se a vo merchet àr ar J.M.O. Pe: «Dec'h e oamp erru aman da deir eur. Ma zud a zo erru da greiznoz, brevet get ar skuizhder.» Aes eo deoc’h gwiriekaat pa ouier a-raok petra e oa labour ar fourrier.
Ar fourrier a ziblase a-raok ar re 'raIl get tri pe pevar den, d'ober ar c'hantonamant, da gavout lojeris. Erru a rae-eñ, lies-mat, ur penn-devezh a-raok ar gompa­gnonezh. Setu, get ar J.M.O. e c'hellit gwiriekaat ar pezh a skriv.
D.D. : Ha n'ho peus james kavet kemm etre ar pezh a skrive Loeiz Herrieu hag ar pezh a oa bet merchet er J.M.O.?

D.C. : James. Dalc'hmat ar memes tra, rik-ha-rik. Traoù 'zo a zo er J.M.O. ha ne vênt ket lâret get Loeiz peogwir n'o gouie ket anezhañ. Kar Loeiz a oa diblaset dija a-raok ar rejimant ha ne gemere ket bepred ar memes hent. Eñ a gemere alies an hent berrañ a-dreuz karter. Tri, pevar e vezent é vonet asambl : eñ, ar c'haporal fourrier ha daou soudard arall. Eñ a oa serjant-fourrier. Kavet e vez èl-se er c'harned : "Ar mintin-mañ e oa yen, skornet e oa an hent met dre voneur ne ruskle ket."
Nann, pa oa-en aet kuit, aet e oa e-kreiz an noz met pa oa savet an deiz e oa erru ar riell ... Traoù 'zo èl-se.
ÈI ma lâr Norton Cru, ur c'harned a zo prisius hag a zo ur gwir testoni adal ma vez lec'hiet an traoù ar resisañ-posupl. Ret eo ma vez resis an traoù, ma lâr an dud e-men emaint, al liesan-posupl. E peseurt tachad ag an talbenn emaint, e peseurt kêr, e peseurt lec'h emaint ennañ é skriv, e peseurt lec'h eman ar geginerion, e peseurt toull emaint-int. Seul vuioc'h e vez degaset traoù sort -se, seul suroc'h e vez an testoni. Ar re o deus lennet Kammdro a oui e vez spisaet holl an darvoudoù get Loeiz, bep taol, betek an euriadoù. Un testoni dispar hon eus aze. Hag e brezhoneg, a zorn piv e vez kavet hiriv an deiz 620 lizher àr ar brezel pevarzek ?
Ar c'harned a zo biskoazh spisoc'h e-kenver deiziadoù, traoù emgavet. El lizherioù : tud meneget, 150 den dre o anv evit ar rejimant, hep kontiñ ar re 'rall en deus gwelet tro-ha-tro hag e lâr d'e vaouez: «Hiriv em eus kavet henañ-hennezh a Borzh­Loeiz pe a Bloue.» E Kammdro eh eus nebeutoc'h a dud meneget.
Etre ar c'harned hag embannadur Kammdro, an den n'en deus ket chenchet an darvoudoù, àr-bouez darvoudigoù dister. Met perak en deus tavet àr lod ha pas àr lod arall ? Marse e oa ur gudenn a lec'h, a blas e Dihunamb ! Traoù arall a vez kavet e Kammdro ha n'int ket er c'harned, darvoudigoù ivez.
D.D. : Daet soñj dezhañ àr-lerc'h ?

D.C. : Ne gredan ket. Bout 'zo atav daou draig eh on prest a-walc'h da grediñ emaint bet lakaet evit "digor an nor" d' ar vojenn ha reiñ d'al lennerion boued a blije dezhe. Pad int er blez seitek, pad eo aet an Alamaned àr-dreñv - espres-kaer, met Herrieu ne gomprene ket an dra-se nag ar soudarded arall - aze emaint é redek da gemer an dachenn dilezet hag en em gavont e kêriadennoù bet dalc'het get an Alamaned abaoe penn-kentañ ar brezel. Herrieu a lâr en em gav en un ti, lec'h mah eus ur vaouez hag he merc'h é chom ; hag e vez paeet un tasad dezhe da evet, hag en un taol e tigor an nor hag e ta tre en ti ur soudard yaouank : mab an ti ha ne oa ket bet doare ebet anezhañ abaoe ma oa kroget ar brezel... Nend eo ket er c'harned, nend eo ket el lizherioù ... Met an dra-se a vez kavet lies-bras e-barzh eñvorennoù brezel arall. Ma, an dra-se a ra plijadur d'al lennerion...
Bout' zo c'hoazh kaoc'h ar c'hapiten, a zo e-barzh Kammdro. Emaint dirak talbenn Massiges ; ar c'hapiten Césari ne venn ket donet er-maez get an aon, ha kac'hat a ra àr un tamm paper ha rein a ra e gaoc'h d'an ordonañs da gas er-maez !
An dra-se a zo e Kammdro met n'eo ket er c'harned. Hag er c'harned èl en ul lizher e ro da gomprèn emañ un den mat ar c'hapiten Césari. Ur sell kontrol-tout. Petra a zo paseet aze ? Diaes gouiet…
D.D.: N'eo ket atav traoù a denne da vras ?
D. C. : Nann ! Disterajoù, netra oc’hpenn !...
E brezhoneg n'hon eus testoni ebet a dalv hani Loeiz Herrieu. E galleg, da ouiet din hani ebet; hag en alamaneg, sur on, hani ebet.
D.D.: Setu evit an testoni istorel. Ha fed ag an den, petra ho peus dizoloet ? Daoust ha souezhet oc'h bet ?
D. C. : Ya, ar souezhusañ a zo bet dizoleiñ personelezh an den. An abad Lohier -Mab ar C'hloc'hour - en doa skrivet, e «Bro-Guened», pa oa bet interet Loeiz Herrieu, e mizMae 1953: «Loeiz Herrieu ne oa ket un den èl ar re 'rall.» Ha gwir eo.
Met nend eo ket ivez an den - hag an dra-se en deus ma lakaet da furchal àr an den-se - nend eo ket an den am eus klevet kaozeal anezhañ èl ur pikol mell haroz, un den dispar, e fin ar blezioù dek ha tri-­ugent, get an dud o doa en anavet :

"Peseurt den e oa Loeiz Herrieu ?" "Ha! Hennezh a oa un den .. , Ha Dihunamb !..."
"Ya, met peseurt den ?" "Ha, dam hennezh 'oa un den en deus labouret ... "
Met, er-maez ag an traoù-se ne veze ket lâret deoc'h peseurt den e oa. An dud o doa bevet getañ, pe odoa-eñ anavet, n' o doa anavet nemet un tu anezhañ : tu ar brogarour ; ha c'hoazh tu ar brogarour e dibenn e vuhez pa sonjer mat, pas tu ar brogarour a-raok ar brezel 14, tamm ebet. Evite e oa daet da vout ur sort haroz, un haroz bev ha ne veze ket mui gwelet an den a-dreñv. Hag atav e tae ar skeudenn, ar Barzh Labourer é reiñ bronn d'e bal, atav an dra-se. Ha pa'm boa graet ma mestroniezh a-zivout Dihunamb, dre forzh hentiñ bugale Loeiz Herrieu, Gwennael dreist-holl, hag e vaouez Geneviève, em boa santet ne oa ket tre an dra-se. O zad a oa evite ivez un den na oa ket èl ar re 'rall. N'eo ket abalamour ma oa o zad met abalamour ma oa un den dishañval doc'h ar re 'rall dre e emzalc'h, dre e spered, dre ar feson en doa d'en em kondui er vuhez ... Ha gwir eo em eus dizoloet un den n'em behe kredet biskoazh e oa katapl da vont ken pell, ken don-se. Un den pasionet !
Dre al lizherioù em eus bet tu da zizoleiñ an den prevez ha n'eo ket mui an den publik.
Gwelet em eus ivez e oa bet ur gwir soudard, un den a zever. An dever a zo diazez e ernzalc'h er brezel met ivez en tu 'rall, er vuhez a-bezh. Lakaet en doa e-kreiz e vuhez ober àr-dro ar vro ha gober àr-dro ar brezhoneg. An dra-se en doa dibabet da zever a pa oa ugent vlez hag an dra-se a zo chomet dever pennañ e vuhez penn-da- benn. Kousto pe gousto, diskaret eñ pa garoc'h ha keit ha ma karoc'h, hag al liesañ ma karoc'h, atav e tay en-dro rak e zever a zen eo an dra- ­se. Un dever arall a zo bet e-pad ar brezel : echu ar brezel, ha gounit ar brezel. Aze en em gav kar d' ar braz ag ar soudarded. Ur gaou eo lâret e oa prest ar soudarded da vervel evit an Alzas hag al Lorren ! Ar braz anezhe a rae ket foutre-kaer get an dra-se. Ar pezh a oa, kendrec'het e oant, a-raok ar brezel, dre an iliz, dre ar skol e vehe bet, deiz pe zeiz, ret en em bakiñ en-dro get an Alamaned. An dra-se a oa sur. Erru 1914, an holl a zo aet kuit en ur soñjal "An dra-se a vo d'ober ; kenkoulz eo monet dezhe doc'htu, dijabl anezhe. Ur wezh graet ne vo ket mui d'ober. Ret eo o bountiñ er-­maez. Ret eo echu ar brezel. Hon dever eo». N'eo ket me a lâr kement-mañ met an istorourion yaouank a-vremañ é labourat àr ar brezel 14. Graet en deus Loeiz e zever a-fet kement-se, èl an holl.
Ne gomzer ket neuze ag an Alzas- Lorren, graet e vo diwezhatoc'h, hardizh, er blez 17 a pa zay an Amerikaned er brezel rak an Amnerikaned a c'houlenno : «Petra eo ho palioù brezel ?» Ha palioù ar Frans a oa diskar an Alamagn, èl galloud ekonomikel ha politikel. An Amerikaned ne vennent ket tamm ebet doujiñ d'ar pal-se ha neuze o deus lâret ar bolitikerion : «An Alzas hag al Lorren a vo ret dezhe reiñ en-dro». Setu ur pal dereat hag aes da streviñ e pennoù an dud...

Mah it en tu 'rall d'ar brezel : Dihunamb, ganet e 1905. Betek e varv e chomo get Dihunamb, diskaret ur wezh hag adsavet e 1921, diskaret c'hoazh e 1944. Ya, met ne vir ket doc'htañ a lâret, hag a skriv d'an dud en aters àr ar poent-se, daou vlez a-raok e varv : «Gortoz a ran, bremañ eh on erru en Alre, gortoz a ran kaout un tammig argant en-dro, un tammig nerzh ha Dihunamb a yay en-dro.»
E zever a oa aze, don en e galon hag en e spered emañ an dra-se: adal ma ho peus dibabet ur pal emañ ret deoc'h labourat evit ar pal-se, kousto pe gousto. Anduret, gouzañvet en deus er brezel met graet en doa e zever hag un dever arall a zo staget : dever ar c'hristen.
Tout an dud a ouie e oa Loeiz ur c'hatolik, ur c'hristen mat, met ne'm behe ket-me kredet atav e vehe aet ken pell. Aet eo kalz pelloc'h evit ar veIeion a oa é kemer perzh e-barzh ar brezel. Evitañ-eñ, predeg an iliz ofisiel e oa, met eñ a zo aet betek penn : Mard eo daet ar brezel emañ dre faot an dud. Doue en deus Iaosket ar brezel da zonet, dorn Doue a bouezo bremañ èI ur c'hastiz àr an dud betek ma vo bet digollet a dout ar fallantez a zo bet graet doc'htañ. Ha piv a c'hell en digoll ? Ar re just, ar re vat, pas ar re fall. Kaer e vo Iazhiñ an dud a viliadoù, n'eo ket an dra-se a arrasto ar brezeI, n'eo ket an dra-se a Iakao Doue da sevel e zorn. Sevel a ray e zorn, lakaat a ray termen d’ar c'hastiz a pa vo bet paeet an dIe get ar re a c'hell paeiñ an dle, da Iâret eo ar re vat, ar re a bleg get pasianted d'ar c'hastiz a zo bet Iakaet da zonet. An dever a basianted a zo pas klask achap dirak ar c’hastiz, da Iâret eo pas donet d'ar gêr.
D.D.: Abalamour d'an dra-se ne vehe ket daet ?
D.C. : Ur rezon eo. Meur a rezon a zo ...
Klask tenniñ àr-dreñv a zo klask tenniñ a-zindan dorn Doue. Klask ankouaat an dever a zo ar memestra. Ret eo plegiñ da volontez Doue hag en ur blegiñ da volontez Doue ho peus ur chañs d'en em denn, ur chañs da verraat ar brezel. N'eus ket chañs ebet deoc'h mod arall. Eñ a zo aet betek penn an dra-se hag er lakaet da dalv àr e bemdez. Reut-bras ha kalet- bras dezhañ da zerc'hel met kaletoc'h c'hoazh d'e dud er gêr.

D. D.: Goulennet e veze getañ donet en-dro ?
D. C. : Ya, sur a-walc’h. E vaouez nend eo ket evit kompren anezhi ; n’eo ket evit kompren he gwaz. Ur vaouez vat eo ; moarvat n’en dehe ket gellet Loeiz Herrieu kavet ur vaouez arall ken mat èlti. Ma ne vehe ket bet-hi aze moarvat ne vehe ket bet ken a Varzh-Labourer goude ar brezel. Ma vez kaozeet a Varzh-Labourer, ret eo lâret : ma oa barzh he gwaz e oa-hi ar beizantez. Hi eo he deus kaset an tiad, he deus lakaet an traoù da vont àr-raok.
Poan he deus bet doc’h en em ober doc’h ar brezel e penn-kentañ, doc’h an dachenn ; met, kredapl, nebeutoc’h a boan evit kalz a vaouezed arall rak dija, a-raok ar brezel e oa he zra. Hounnezh a ouie petre oa he flas. Da zeiz o eured, e-barzh he gwalenn, e oa tri ger skrivet : «Doue, Breih ha ma Vedig». Vedig a oa an trivet. Asantet he doa d’al lec’h-se. Tri dever a oa : Doue, ar Vro hag ar vaouez… Pet emsaver ag ar rummad-se hag a vez sellet bremañ get kalz èl tud veur hon istor, en dehe lakaet an traoù en urzh-se ? Doue moarvat, met pet o dehe lakaet Breizh da c’houde, a-raok ho fried ?...
D. D. : Joubiouz ivez a lâre «Doue ha mam bro»… Met n’en doa ket maouez ebet
anezhañ !
D. C. : Ya, aze emañ ret deomp distroiñ àr un dra : Loeiz Herrieu ha dimeziñ. Ret eo gouiet e oa erru d’ur blez ha tregont pa oa dimezet ; ar pezh a oa kozhik en amzer-se… Ha pell-bras en doa lakaet d’ober e soñj . Ha moarvat e oa bet, e-pad un amzer, get ar soñj chom paotr yaouank kozh. Loeiza a zo bet dibabet. En em anavet a raent o daou abaoe 1905. Doujañs he doa Loeiza evitañ, evit e soñjoù, ha prest e oa d’en harpiñ àr an hent en doa dibabet heuliiñ. He c’hoar Mari a oa bet, sur a-walc’h, haniet get an dra-se, rak Mari he doa lakaet he soñj get Loeiz. An-dra-se a zo sur. Ha moarvat he doa el lâret dezhañ peogwir e skriv dezhi : «Nann, n’eo ket ma soñj dimeziñ, hag atav ne ouian ma timezin un deiz». Hag, èl ma lâr Gwennael : « Klevet em eus lâret a-viskoazh penaos ma moereb he doa gouelet ha gouelet an deiz ma oa dimezet Mamm get ma zad». Mari a oa dimezet un nebeut mizioù a-raok.
Ha Vedig, ur wezh dimezet, he deus arrestet skriv. Hi ‘deus kroget en-dro er bluenn e-pad ar brezel ; evit derc’hel lec’h he gwaz ; dre zever doc’h un tu. Skrivet he deus kalz a gantikoù, gwerzennoù.
D. D. : El he gwaz ?
D. C. : Ya, skriv, pediñ… Evit distroiñ da Loeiz, em eus dizoloet un dra : un den a zever eo. Un den a benn ivez èl ma lâr an ofiserion en deus labouret dindane : «Homme d‘un très grand sang-froid, collaborateur modèle». Un dra d’ober a ranke bout graet brav ha difistur bepred. Ma ho peus un dra d’ober e rankit en ober ha n’eo ket ober van.
Ur soudard sentus eo bet, sentus doc’h al lezen. N’eo ket eñ a vo kavet é vonet a-enep d’an urzhioù roet, a-enep d’an ofiserion… Ar c ‘hontrol d’ar pezh a santer e Kammdro, ya ! Met ret eo analiziñ mat an traoù. N’en deus ket tamm doujañs ebet evit isofiserion pe ofiserion zo rak, evitañ atav, emaint tud dizesk, «tudigoù, laouegaj» ; tud na vevont ket tamm ebet dre ar spered, tud dalc’het get o femdez hag o soñjoù a-rez d’an douar, tud é kas ur pemdez izel ha lous. Disprizañs, dismegañs en deus evite met nend eo ket evit an dra-se e savay a-enep d’an urzh. James ! James !…
An doujañs evit an urzh, an doujañs evit ar perzh a zo e personnelezh Loeiz ; kavet e vez roudoù kement-se en e vuhez goude ar brezel. Gwelet e vez Loeiz é huchal àr-lerc’h an iliz dre ma ne vez ket graet trawalc’h evit ar brezhoneg ; ya, met ne gaver ket james Loeiz é lâret d’en dud : «Ma, an deiz-mañ-deiz en em gavimp, ar re a zo kar d’o yezh, dirak ar presbitoer…» N’er c’haver ket james é lâret d’an dud : «An deiz-mañ-deiz e vo manifestet el lec’h-mañ-lec’h evit…» Nann, james ! Al lezenn a zo al lezenn. Adal mad eo al lezenn ho peus droed da gavet emañ fallc’hraet. Mad eo fallc’hraet emañ un dra fall. Mad eo un dra fall, emañ bet graet get tud fall. Hag an dud fall a vo kastizet get Doue deiz pe zeiz ; c’hwi, n’hellit ket ober kalz a dra nemet sellet doc’h al lezenn èl un dra direizh. Setu ho peus droed da gaout disprizañs evit al lezenn, met n’eo ket kement-se a roa deoc’h ar gwir da zizentiñ ; da vihanañ betek ma n’ho toug ket al lezenn-se betek ober gaou da lezenn Doue...
Ha kement-se a dalv evit ar pezh àr an dud, evit an dever na zleer ket sevel a-enep dezhañ. Loeiz n’eo ket bet test d’ar pezh a zo paseet e rejumantoù zo e 1917, emsavadeg ar soudarded é nac’hiñ kerzhet, met klevet en doa komz ag un emzalc’h un tammig hañval e 1916. Hag e skriv en e garned brezel : «N’int [ar soudarded] ket aet pell, ar jañdarmed o deus int serret, o deus int kaset en-dro. Mat o deus graet. Peseurt soñj a zo savet e penn ar re ‘rall ?»
Er blez 17 en em lak d’ober harz-labour ar maouezed implijet el labouradegoù bras, e kostez Pariz hag er c’hêrioù bras arall. Moarvat e skriv Loeiza dezhañ e oa savet bec’h ivez en arsanailh, hag e respont : «Da betra mont d’ober an dra-se ? Atav, bremañ, nend eus ket ‘met lakaat ar soudarded àr ar ru hag e vo achu an traoù. Ne servij da netra». E gwirionez e servijo : ar goproù a vo kreskaet, met Loeiz ne gomz ket mui ag an dra-se goude. [………]
Un den sentus eo, met un den en e sav, kontrol doc’h kalz a dud soudardet. Lies-mat en em lesko ar re-mañ da vonet get ar gevredigezh nevez ganet diàr ar vuhez àr an talbenn ; en em siliñ a rint e-barzh ar spered-brezel. Loeiz a venn chom. Ne venn ket cheñch na fed spered, na fed emzalc’h, na… netra. Un den reut eo !
D. D. : A-benn ar fin, dilezet en doa e familh en ur mod evit monet d’ar brezel 14.
Ne oa ket daet en-dro gwezh ebet e korf pemp blez. N’en doa ket kement-se
graet gaou doc’h an darempred etrezañ hag e vaouez, e vugale ?
D. C. : An dra-se a zo diaes da lâret. Ar-lerc’h ar brezel, goude an distro, ne oa ket mui a lizherioù etreze o daou, nag a garned pemdeziek !... An traoù-se a zo aet gete d’ar bed arall ; met sur emañ bet un dra garv-tre evit ar familh, ha dreist pep tra evit Loeiza.
D. D. : Pet krouadur a oa dezhe e 1914?
D. C. : Daou a oa. Gwennael ha Herve. Met ret eo diwall a varniñ re vuan hag a-dreuz. An dra-se a zo bet ur gudenn ha n’eo ket bet diskoulmet da vat a-raok bremañ – ma ‘n deus ma labour servijet d’an dra-se emañ dija un dra.
Loeiz en deus bepred lâret d’e re er gêr – ha chomet eo kement-se er familh abaoe : «Ma ne zistroan ket emañ peogwir emañ bet re ziaes din ho kuitaat. Aon ‘m eus en-dro a vout paket er memes feson, ha marse, ma dan ur wezh, n’hellin ket ken donet d’ar brezel». An den a zo reut, ha neoazh tener-bras àr un dro. Disfiz a ra doc’h e galon – èl-se emañ bet desavet – ha dalc’hmat e kemer ar spered – ar rezon - an tu àr ar galon. Ar galon, ar santimantoù a zle bout gwasket. An dever, ar preder a zo kentañ. Hag un dra bet prederiet a ranker derc’hel dezhañ. Un dra divizet a zo divizet. El-se emañ an traoù getañ : «Ret eo din echu man dever, echu ar brezel; Neuze en em gavimp en-dro evit ur garantez digej. Pa yahen bremañ d’ar gêr, ne ‘m behe netra ebet da reiñ deoc’h» a lâr-eñ d’e vaouez.
Amañ emañ talvoudegezh al lizherioù evit ar c’hlaskour : kement-mañ ne vez ket kavet e Kammdro. Perak ? Aes eo respont : Ne oa ket da vout lakaet edan selloù an dud. Ne selle nemet doc’h an daou bried. «Staget on doc’h un dever arall»… E zever hervez e stad a zen – hini ar sitoian soudardet – hag e zever hervez e feiz kristen - plegiñ get pasianted da volontez Doue. Echu ar brezel da gentañ ; goude e vo adkavet ar vuhez..
Evitañ-eñ emañ ar brezel ur prantad «etre kromelloù» ; ar-lerc’h e vo an traoù èl ma oant a-raok ! E gwirionez e farie a-vras, met nend eo ket evit en em rantiñ kont anezhañ : ne guita ket bed ar brezel !... Peseurt ali a roa d’e vaouez pa c’houlenn-hi er gwelet é tistroiñ ? Kaout ar memp emzalc’h ha soñjal èltañ, setu… [……] «Grait èldin hag e vo mat ! Ne faot ket deoc’h ober èldin ? Tampir evidoc’h ! C’hwi a c’houzañvo. Me a ra-me èl-se ha ne glemman ket… Mizer ho peus abalamour nen dan ket d’ar gêr ? Dismegañset e vêc’h get an dud ? An dud a vez é c’houlenn traoù geneoc’h ? Grait èldin ha lârit  : « Oui, il n’est pas venu. Je ne l’ai pas vu depuis trois ans et je ne m’en porte que mieux !» Brav da lâret, met d’ober emañ un afer arall !
Lâret a ra-eñ, hag an dra-se a zo sur rak prouet eo get an dud o deus bevet getañ : «N’eus ket den ebet er gompagnunezh hag a vez ken dibreder èl mad on». Bepred é c’hoarzhet, disoursi, distag. Dirak ar re ‘rall ! Met a-benn ar fin emañ an den é kas daou vrezel e lec’h unan !... Ar brezel a ra get ar re ‘rall – hag aze e seblant bout dibreder, degemerus d’an holl, prest da rantiñ servij ; ar pezh a ra anezhañ un den aes a-walc’h beviñ getañ – hag ur brezel arall en e spered hag en e galon : ur brezel d’ar brezel ! … Dibaot ar soudarded o deus graet kement-se. [………]
D. D. : Ha darempred Herrieu get ar re ’rall ? Devezh ho tezenn ho poa lâret n’en
doa ket a gamaraded da vat.
D. C. : Nann. Paseiñ a ra get razh an dud, setu. Aze eh omp àr ar vevenn etre an daou ved, an daou vrezel, an daou zen. A-unan eo holl an dud : pa ‘n em gaver getañ e tiskoa bout un den aes, plijus, un den hag a seblant bout dibreder. Met, e gwirionez, evit gellout en em zerc’hel mod-se, e vac’h e galon hag e vec’h ennañ e-unan evit chom just-ha-just èl ma oa a-raok ar brezel : ar memes kristen, ar memes den, ar memes soñjoù, ar memes spered, ar memes emzalc’h. Ne vo ket marc’hataet !... Ha betek pell eh a a-wezhadoù : ne zebr ket etre e bredoù, dre ‘n arbenn ma ne rae ket pa oa er gêr. Ne ev ken nemet doc’h taol èl ma rae er gêr…
D.D. : Debriñ a rae gwellikoc’h evit ar soudarded arall ?
D.C. : Ya, gwellikoc’h memes tra; gresikoc’h a voued, plaen ar predoù. Pas ur rejim ofisour, met ne oa ket e skouadrenn ebet, nag e rann ebet peogwir e laboure er burev ; setu aze en em gavent bepred ar memes re, daouzek, pevarzek a dud, isofiserion dalchmat, tud ar burev é tebriñ asampl ; ur „popote” a veze etreze… Ha mont a ray betek nac’h kemer an traoù kaset dezhañ ag ar gêr !
D.D. : Traoù kaset get e vaouez ?
D. C. : Ya. Boued, pakadoù… O rahuiz a ra.
D. D. : Hag adkaset en deus pakadoù d’ar gêr ?
D. C. : Graet en deus !
D.D. : Peseurt rezon ?
D. C. : «Debriñ a ran man gwalc’h ! ’Dalv ket ar boan deoc’h kas din». Mat pellzo !...
D. D. : A pa gas traoù en-dro e ra sur a-walc’h droug d’e vaouez !
D. C. : Ya, sur a-walc’h e ra droug dezhi !... El ma lâren deoc’h tuchantik : «Grait èldin hag e vo mat an traoù. Ma ne rit ket èldin, gwazh a se evidoc’h !» Sur e oa ret dezhi bout solut, ar gaezh maouez ! E oa ret dezhi andur memes tra !.... An dra-se ’zo kaoz he deus gouzañvet, kollet kalon hag anduret, bet didroadet meur a wezh. E keñver ar pakadoù emañ sklaer : « Na gasit din nemet ar pezh a c’houlennan geneoc’h !» Fed dilhad, botoù ha razh ; atav ar memp lezenn !... [……..] Mod arall e vo rahuizet pe e tapo-hi he fegement. Ma c’houlenn ur c’halson n’eo ket daou. Ul lur amannenn pep pemzektez, ha n’eo ket ul lur hanter ! …
D. D. : Goulenn a ra an traoù ken spis ?
D. C. : Hag e ra ! Pa ra ar soudarded d’al liesañ da c’houiet pegen koutant int bet é resev o fakadoù, é ranniñ get ar gensorted, e lâr Loeiz :«Na gasit ket re din !». Herrieu a lâr oc’hpenn : «Da betra e yahen-me da lakaat traoù kaset din ag ar gêr àr an daol ? An dud a vez doc’h taol genin ne’m eus nemet disprizañs evite !»
D. D. : Memes an dud a veze doc’h taol getañ, memes an isofiserion ?
Ne oa ket hani ebet èltañ ?
D. C. : Nann. Get lod en deus en em glevet gwelloc’h evit get re ’rall. Met, da ouiet din nend eus ket bet hani ebet en dehe digoret dor e galon dezhañ. ’Met ha vehe an adjudant-chef Vramant, adjudant klañvdiour ar batailhon, ha c’hoazh n’on ket sur. A-dra-sur e komz lies a Lafabrier, e serjant-fourrier e penn kentañ ar brezel, à Gauffriand a zay da vout e gaporal-fourrier goude ; kement-se avat ne dalv ket eh eus gwir vignoniezh. An darempredoù get an ao. Moigneu, kravazhatour hag aluzennour ar 88vet, ne seblantont ket bout ledanoc’h evit ar re a vez etre an den a relijion hag ur beleg ; kement-se en despet dezhe en em anvout mat hag a bellzo. [……..] Loeiz a wele – pe a grede atav - en em leze ar braz ag ar re a oa en-dro dezhañ da vout libouret e lostad ar brezel ; trawalc’h e oa evit en em droc’hiñ doc’hte. Ar sort tud ne faote ket kontiñ àrnezhe evit gounit ar peoc’h – da lâret eo evit m’en devehe Doue savet e zorn ; e kontrel : Dre o emzalc’h e lakaent ar brezel da badout.
D. D. : Hag e dud er gêr ?
D. C. : Pa ’n em glemm e dud er gêr e vênt skuizh e respont Loeiz : «Perak e tait-c’hwi d’en em glemm din ? Mard oc’h klañv, c’hwi eo a zo kablus. Pet gwezh em eus lâret deoc’h pas en em lazhiñ é labourat. Ne selaouit ket ! En em lazhiñ a rit é labourat … Dre ho faot eo».
D. D. : Neoazh ne rae Vedig moarvat nemet ar pezh a oa rekis d’ober ?
D. C. : Geo, un tammig muioc’h. Petra ’faot deoc’h ? Ar beizanted a rae argant e-pad ar brezel pevarzk ; da vihanañ ar re a c’helle gounit get o douaroù atav. Argant a veze d’ober get ar piz, get al legumaj. Met ne oa ket mui nemeti hag an daou re gozh, tud Loeiz. Diaes e oa kaout tud, devezhourion da reiñ an dorn : mont a raent da labourat da gêr pe d’an arsanailh lec’h ma vezent paeetoc’h. Setu ne veze ket kavet forzh a sikour ken àr ar maezoù. Met an daou re gozh, ha Loeiza ivez sur a-walc’h, é welet an argant a oa tu gober, a lakae o foan da c’hounit. Loeiz, ha ne venne gwelet ar brezel ken nemet èl ur prantad «etre krochedoù», a lâre d’e du : «Ar pezh a gont evidin-me a zo gober man dever ha distroiñ bev ha divac’hagn d’ar gêr. C’hwi, ho tever a zo chom yac’h evit ma ho kavin tout pa zistroin, pa vo echu ar brezel, pas a-raok. Ha neuze e vimp unanet tout en-dro». Setu petra oa e soñj-eñ.
D. D. : A-benn ar fin, ho peus kavet ar soñjoù-se en e lizherioù. Ha just a-walc’h,
na brezhoneg al lizherioù ?

D. C. : Brezhoneg al lizherioù a zo brezhoneg ar pemdez ; èl ma ta getañ en e garnedoù pemdeziek. Ur yezh hañval a-walc’h doc’h brezhoneg Dihunamb. Evit Kammdro emañ dishañval an traoù : an destenn a zo bet labouret ur bochad.
Skriv a ra un tammig èl ma vehe é parlandal doc’h e wreg. Un dra a zo anat ivez : get lizherioù en em gaver, ha da reolennoù zo a ranker sentiñ pa vêr é sevel ul lizher. Skriv a ra en un tenn, hep donet en-dro àr e skrid, hep barenniñ ger ebet… Un den ampart-bras hag a zo mestr d’e yezh, hag a soñj er yezh ma skriv. … Skriv a rae etre 5 ha 10 lizher bemdez ; e penn kentañ ar brezel atav, nebeutoc’h goude. Ingal a-walc’h e kas e zoare da Vallée, d’ar Berr, d’an aotrou Buleon - person parrez St-Jozeb ar Plessis, da Verthou, da Vellag… Ar braz ag al lizherioù-se a zo moarvat kollet. Skriv a rae da re ar Meliner, da Anna Iehanno (Mona ar Chouanez), da re Rio, da re Goulian a oa amezeion dezhe, da Sten ar Bayon ha d’e vaouez, d’an doktor Garreg, da Choleau… Etre Pemp ha dek lizher bemdez.
D. D. : Ha ne base ket e lizherioù er «gizailherezh». Kudenn ebet fed ag ar
brezhoneg ?
D. C. : Nann. Getañ-eñ, nann. An dra-se on bet souezhet a-walc’h dezhañ. Ne’m eus kavet gwezh ebet ul lizher merchet àrnezhañ «Ouvert par la censure» ; na pennad ebet ebet « kaviardet », èl ma lârer.
Oc’hpenn 98% ag al lizherioù d’e vaouez a zo skrivet e brezhoneg. Ha tud a oa evit gellout o lenn e burev ar sañsur ? Dibosupl eo el lâret. Lennet e veze al lizherioù – kalz pe bihan anezhe atav, hervez an degouezhioù - e burev ar batailhon. Er batailhon e oa peder gompagnunezh, da lâret eo tro 1.000 den, ha 4 serjant a oa karget d’ober an dra-se bemdez. Ne raent ken nemet an dra-se : lenn – pe ober van lenn… Sellet e veze dreist-pep-tra doc’h lizherioù ar soudarded a oa e stad da zizoloiñ traoù na oant ket da vout dizoloet. Loeiz ne oa ket en ur rejimant èl-se anezhañ. Sellet e veze ivez doc’h lizherioù ar re a oa e stad da skriv traoù o dehe didroadet tud an a-dreñv : skeudennus euzhus pe traoù èl-se. Kement-mañ a oa pemdez ar 88° : interriñ ar re lazhet, naetaat an dachenn emgann… Gwelet a rent a bep sort ! Met un dra arall a ranker kompren mat : Loeiz a anave ar 4 serjant-se èl ma oa eñ anavet gete, en em welet a raent bemdez ; o doa fiziañs en eil egile. Ne vern penaos e wele-eñ ar vaguemestre – paotr al lizherioù - ur wezh bemdez da vihanañ, pa dremene henañ dre vurev pep kompagnunezh da serrezh al lizherioù. […] Hag atav pezh sekred en dehe-eñ dizoloet ? Pa veze éc’h ober hent en e unan, é tiblas a-raok e gompanunezh, ec’h errue dezhañ, en ur vonet, bountiñ ur gartenn skrivet àr benn e c’hlin e-barzh ur voest lizherioù. Er secteur des armées e veze boestoù-lizherioù «poste aux Armées» èl ma vez àr vord ar ru dre-mañ. Met ar gudenn a oa hani ar secteur postal : pa cheñched secteur postal e oa ret lakaat a besort rejimant e oad . Ma ‘n em gavec’h er secteur postal 4 pa oa ho rejimant sañset bout er Secteur 3 e oa risklet ho lizher da vout lennet. Neuze e skrive e galleg ; traoù didalvoud d’al liesañ : «Tout va bien. Bonne santé. Suis en marche. Ecrirai plus long demain».
Pa vez un emgann é komañs – er Somme da skouer, d’ar c’hentañ a viz Goureneñv 1916 ; dirak Massiges er blez 15 memes mod – e skiv e galleg dre ma oar e vo lennet pishoc’h al lizherioù. Peotramant e komañs e galleg hag e talc’h e brezhoneg goude.
D. D. : Ne oa ket serjanted gouest, karget da lenn al lizherioù e brezhoneg e burev
ar gizailherezh ?
D. C. : Nann, da ouiet din atav ! Ha piv a skrive e brezhoneg ? Ul lizher marse… Bout e oa tud hag a skrive ingal e galleg hag a implije ar brezhoneg evit lâret traoù na fizient ket lâret e galleg. Herve Deparscau du Plessis a vez kavet frazennoù e brezhoneg en e lizherioù hag a za da zislâret ar pezh emañ é tonet a skriv e galleg : «Tout va bien, nous n’avons pas eu beaucoup de pertes». Hag e kaver e-kreiz al lizher, hep virgulenn na netra ’bet, evit lorbiñ ar gizailherezh just a-walc’h : «Kalz a dud ’zo marvet». N’eo ket tamm ebet ar memes tra.
D. D. : Ne oa ket mod Loeiz d’ober ?
D. C. : Nann, james. Pierre Couriaut, a Vaod, a rae ivez èl-se : «Tout va bien. Ne t’en fais surtout pas. Poan a zo». An dra-se a zo bet graet get ur bochad soudarded, met Herrieu ne rae ket.
D. D. : Evit kloziñ neuze ?

D. C. : Evit kloziñ e larahen a-walc’h ar pezh am eus krivet e dibenn ma labour tezenn. Dizoloet em eus un den strizh ha sentus, ur c’hristen gredus, ur pried fidel, karantezus hag un den soursius ag e vugale, un den hag a venn beviñ dre ar spered, ur spered uhel hag ur galon eeun. Un den en e sav, un den gwirion, er brezel.
E destoni brezel a chom un dra nebeut anavet, d’ar vrezhonegerion en tu arall d’un dornadig anezhe, da razh ar Vretoned unyezhek galleg. Pec’hed bras eo, hag oc’hpenn mall eo embann an notennoù hag al lizherioù evit brasañ mad ar vrezhonegerion ; ha ken mallus ha ken ret eo treiñ lod ag an testoni e yezhoù bras èl ar saozneg, ar galleg, an alamaneg…
D. D. : Ho trugarekaat, Daniel.

Dastumet e Kalan Brec’h, d’an 18 a viz Eost 1999 get Daniel Doujet.

 

Un paysan breton dans la grande guerre.
Rencontre avec Daniel Carré

 


 .
 
D’après l’interview publiée dans les N° 90 (octobre 1999)
et 91 (Janvier 2000) de la revue AL LANV.
Adaptation et actualisation par D. Carré ; août 2011.

Le samedi 5 juin, Daniel Carré a soutenu sa thèse de doctorat, à l'université de Rennes 2 devant un jury composé de Yann-Ber Piriou, directeur de la thèse, Donatien Laurent et Jean-Yves Plourin (UBO, Brest), Michel Nicolas et Gwendal Denez (UHB, Rennes 2). Le sujet  en était «Loeiz Herrieu, un paysan breton dans la grande guerre. Analyse de sa correspondance avec son épouse». L’exposition du sujet et les échanges avec le jury ont duré près de quatre heures. Dans la salle se pressait un public très fourni composé de parents et d’amis, parmi lesquels plusieurs universitaires et chercheurs, dont l’attention n’a pas faibli au long de toute l’après-midi. A l’issue de la délibération, Daniel carré a été reçu docteur de l’université de Rennes II. La mention très honorable et les félicitations du jury lui ont été décernées pour son travail ; une distinction tout à fait méritée eu égard à l’ouvrage accompli.
Nous avions pris rendez-vous, lui et moi, le mercredi 18 août pour en reparler. Ce jour-là encore, je dois dire que le temps me parut bien court et l’interview si simple à conduire – rien de plus facile que de faire parler Daniel – que c’est frais et dispos que je rentrai chez moi. Cinq heures d’horloge ! Voilà ce que dura notre entrevue durant laquelle je n’eus finalement qu’à écouter. Impossible d’en donner ici l’intégralité : ce serait bien trop long. J’en ai retiré la matière des deux articles que je vous propose.
D. Doujet
Daniel Doujet: Quels buts vous étiez-vous proposés dans cette étude concernant Loeiz Herrieu ?
D.D. : Deux, en vérité. D’abord vérifier la véracité du témoignage de guerre. On sait en effet que certains écrits de guerre sont le fait d’auteurs qui n’y ont jamais réellement pris part ; d’autres rapportent des faits dont ils n’ont pas été eux-mêmes les témoins. Ils ont parfois écrit longtemps après l’événement alors que les souvenirs s’estompaient ; certains ne l’ont fait que dans les années 1950, peu de temps avant de mourir. Il faut aussi compter avec l’influence du discours convenu autour de la guerre héroïque, du prix du sang versé. Il fallait donc vérifier le degré d’authenticité du témoignage.
Le second objectif était de tenter de cerner la personnalité de Loeiz Herrieu, d’approcher de lui le plus possible, de savoir à quelle sorte d’homme nous avions affaire sur le plan de la psychologie, du caractère ; comprendre ce qui le poussait à agir et à penser de telle manière plutôt que de telle autre ; tenter de mettre en lumière les principes sur lesquels il avait appuyé ses choix, la place de la religion et de l’éducation reçue… Y avait-il finalement une logique, un lien dans tout cela ?
Il y avait un troisième objectif, mais qui découlait finalement du second : savoir en quoi la guerre avait transformé l’homme. Très nombreux ont été en effet les hommes qui en sont revenus changés.
 
D.D. : Et qu'avez-vous trouvé par rapport à ces buts?
D.C. : Pour apprécier l'authenticité du témoignage, j'ai travaillé à partir de trois sources laissées par Loeiz Herrieu lui-même. Il a tenu un carnet de guerre quotidien, carnet inédit jusqu’ici et que personne n’avait étudié ; les carnets en question – il y en a 5 en tout - se trouvaient dans les archives de la famille.
Il a commencé à en publier le contenu en 1933, c'est-à-dire 19 ans après les avoir écrits. Il était donc logique de se demander si ce qu'il avait vécu depuis la fin de la guerre, la vie, les changements dans la société ne l'avaient pas conduit à faire un choix parmi les évènements notés. N’en avait-il pas tu certains ? Mis d’autres plus en valeur ? Avait-il modifié tel récit pour influer sur l’opinion du lecteur dans un sens différent de celui du soldat au moment où il écrivait ?... Voilà ce que je m’étais fixé comme objectif au début de mon travail : comparer les deux écrits.
 
J'avais donc introduit dans l’ordinateur l’ensemble de Kammdro et le contenu des cinq carnets retrouvés. Il faut dire en effet qu’il en manque un, le premier, celui qui va jusqu’en mai 1915 ; on peut sans doute le considérer comme irrémédiablement perdu.  J’en étais là lorsque Gwénaël que je rencontrais très régulièrement me déclara tout de go au milieu de la conversation : «Il y a bien encore les lettres de mon père à ma mère. Il y en a quelques-unes ici dans le grenier. Pas grand-chose. Une petite poignée peut-être. Cela vous intéresse-t-il ?» Evidemment que cela m’intéressait !... «Bon ! Mais je vous le redis : il n’y en a que quelques-unes parce que j’en ai brûlé pas mal… Je vais vous les mettre de côté». J’étais à peine rentré à la maison que le téléphone sonna : c’était Gwénael «Je les ai retrouvées. Elles vous attendent». Je repris immédiatement la route d’Auray. La poignée, si elle n’était en effet pas bien grosse à première vue, représentait cependant environ 120 lettres !... Je compris aussitôt que je tenais là un matériau de toute première importance, non seulement pour mieux connaître l’homme, mais également pour vérifier le degré de concordance, de véracité des événements relatés dans les carnets. Y avait-il encore d’autres lettres et cartes ? «Et bien… Oui, mais il faudrait que je fouille ». La fouille, poursuivie dans le grenier d’Auray, ne s’avéra pas infructueuse.
 
A la même époque fut déposé au manoir de Kernaud, à Mellac, l’autre partie des archives de Loeiz Herrieu, partie conservée jusque là dans la famille Ferrand à Rédéné. Donatien Laurent, Fañch Postic, Jorj Belz et Jean-Luc Guillevic effectuèrent un premier tri et, ce faisant, me mirent de côté, à la demande de la famille Henrio, tout ce qui leur sembla concerner la guerre 14-18. Dans le lot se trouvaient encore d’autres lettres !... Le tout finit par former un corpus de 620 correspondances de Loeiz à Loeiza ; des cartes mais surtout des lettres qui représentaient pour moi un véritable trésor : un autre témoignage de guerre.
Il avait tenu ses carnets quotidiens dans l’intention de publier ses notes dans Dihunamb une fois la guerre terminée. La publication de Kammdro an Ankoù, commencée en 1933 seulement, ne fût jamais terminée en raison du bombardement de l'imprimerie de Lorient au mois de janvier 1943.
La correspondance représentait une source totalement différente : il s’agissait d’écrits strictement privés, d’écrits dont Loeiz n’avait jamais envisagé la publication puisque s’adressant directement à Loeiza Le Meliner, son épouse. Ils contenaient des informations qui ne figuraient ni dans les carnets ni dans Kammdro ; en particulier tout ce qui concernait le domaine personnel, les relations entre les époux, la place de ses enfants et de ses parents dans les pensées du soldat, le souci de la ferme, l’engagement pour la Bretagne. Toutes choses absentes, en tout cas peu présentes, dans les carnets comme dans Kammdro.
Une évidence s’imposa : une fois le degré d’authenticité du témoignage vérifié, c’était avant tout sur la correspondance qu’il fallait s’appuyer pour montrer quel homme était Loeiz. En ce qui me concerne, je crois que ces années de guerre représentent pour nous la meilleure opportunité d’approcher le fond de cet homme. Du jour au lendemain et durant presque cinq années, il allait se trouver séparé de sa famille, de son pays, de ses occupations, de ses engagements. Jeté dans un monde étranger, hostile aux valeurs qui avait été les siennes jusque là, il ne manquerait pas de se révéler tel qu’il était au fond.
L‘authentification du témoignage ne pouvait bien entendu se faire sans avoir recours aux archives militaires. De côté-là j’eus également la chance de trouver l’intégralité du Journal Marche-Opérations du 88° R.I.T. au service historique des armées, au château de Vincennes. S’y trouvaient également les «Etats journaliers» ; autrement dit les fiches établies quotidiennement et portant les noms et le nombre des pertes - tués ou de blessés - pour le régiment. Une source précieuse à rapprocher de ce que rapportait Loeiz. Et un autre écrit encore : l'« Historique du régiment » composé après la guerre, à l’instar de la plupart des régiments ; une sorte de cahier à l’usage des anciens afin de perpétuer le souvenir ; il contient les noms des officiers, des soldats décorés et parfois même ceux des condamnés…
J'ai aussi lu nombre d'autres écrits ; des ouvrages relatifs à la guerre, des récits et des témoignages, dont certains inédits, provenant d’hommes présentant quelque similitude avec Loeiz Herrieu. Certains de ces témoignages m’ont été transmis presque par hasard, après avoir été, par exemple, évoqués au cours d’une conversation avec l’un ou l’autre : « Ici il y aurait bien aussi des papiers, des lettres…» J’avais lancé un appel dans Ouest-France, dans Ar Men. C’est ainsi que j’ai eu entre les mains la collection des lettres de Deparscau du Plessis, un jeune homme que j'avais retenu parce qu'il était Breton et avait reçu une éducation semblable, par certains côtés, à celle de Loeiz ; un catholique ardent, un noble méprisant la république mais animé d’un formidable esprit patriotique.
Ainsi me sont parvenus aussi les carnets et les lettres de Joseph Loth. Pas celui que nous connaissons, bien sûr ! Un Normand dont le grand père était Alsacien. Il était organiste de métier, un homme du même âge que Loeiz Herrieu dont il partageait en gros la même conception du monde et de la société ; un peu self-made-man comme lui ; catholique, marié, deux enfants comme lui ; également mobilisé dans un régiment territorial. Sa fille, décédée maintenant, avait bien voulu me confier ses archives.
Signalons encore le carnet et les lettres de Pierre Couriaut, un commerçant de Baud, que m’avait confiés l’un de ses petits-fils. Il était du même âge que Bleimor dont il avait été le condisciple au séminaire, à Sainte-Anne. Un homme qui présentait aussi beaucoup de similitudes avec Loeiz Herrieu : un Breton de cœur – même s’il affirme clairement son patriotisme français, un abonné à Dihunamb ; un catholique, un homme instruit, marié et père de famille.
Je me trouvais ainsi en situation de comparer, de m’assurer si le comportement de Loeiz était dans la norme ou pas, de chercher les causes d’éventuelles divergences…
Sans parler bien entendu d’autres témoignages, bien connus ceux-là, comme celui de Louis Barthas du côté français ou celui de Remarque du côté allemand. J’ai en effet cherché des situations parallèles, des hommes présentant quelques caractères communs avec Loeiz Herrieu, des hommes mariés, pères de famille ; parmi les soldats français bien sûr, mais aussi parmi les soldats allemands.
Le résultat de toute cette quête est évident. Nous avons là un témoignage d’une valeur incomparable ; du moins si on le jauge selon les critères définis par celui qui est unanimement reconnu comme un maître en la matière : Jean Norton-Cru.
Norton-Cru, de nationalité française et britannique, publia en 1929 ou 1930 une thèse dans laquelle il analysait la véracité, l’authenticité des divers écrits publiés en français sur la guerre ; il s’appuyait pour cela sur un certain nombre de critères précis auxquels répondait ou non l’ouvrage analysé. L’homme savait de quoi il parlait : il avait fait toute la guerre comme soldat. Ces critères, appliqués au témoignage «pluriel» de Loeiz Herrieu en montre la valeur
 
On a publié de nombreuses correspondances de guerre ; la plupart l’ont été par les soins de la famille ou du moins avec son agrément, souvent pour rendre hommage au soldat disparu. On a forcément effectué un tri dans les correspondances, édulcoré certaines, arrangé d’autres. Il s’agit alors, comme le dit justement Norton-Cru, non plus d’un témoignage de soldat mais bien plutôt d’un témoignage de soldat revisité par des gens qui n’ont peut-être jamais approché le monde de l’avant, qui ont pu être guidés par leur propre vision de la guerre, qui ont voulu avant tout mettre en avant le sacrifice, la bravoure de l’auteur des lettres. Dans le cas qui nous occupe il s’agit de toute autre chose puisque la correspondance n’est passée par aucun filtre, mis à part celui, parfaitement aléatoire, des aléas de l’histoire des archives familiales qui, hélas ! ont abouti à la perte d’environ un tiers de l’ensemble des lettres et cartes écrites par Loeiz à la maison ; les trous – il y en a donc – sont le résultat de ce qui s’est passé en 1944 et après : pertes de liasses, papiers jetés ou brûlés pêle-mêle… Le total représentait probablement environ 1100 lettres, soit un envoi tous les deux jours. Une moyenne bien sûr, car il arrive qu’il y ait trois envois le même jour : deux cartes brèves dans le courant de la journée et une lettre plus longue le soir, par exemple. Une fois la lettre écrite, cachetée, remise au vaguemestre on ne peut plus rien y changer ! Impossible de modifier la localisation temporelle de l’événement rapporté : la date figure dans l’en-tête. Si l’on dit : «Lundi 13 février 1915, Nous sommes toujours à Bourg-et-Comin… » il est facile de le vérifier en consultant les archives du régiment.
« Ce matin ça a bardé entre les lignes…» comme on peut par exemple le lire dans une lettre de mars 1916. «Les allemands se sont mis à tirer… » Ce sont là des faits qui normalement seront consignés sur le J.M.O. Ou bien encore : « Hier, nous sommes arrivés ici à trois heures. Les hommes sont arrivés à minuit, brisés de fatigue». Il vous est tout aussi facile de le vérifier, à condition, bien entendu, d’être quelque peu au fait du travail du fourrier de régiment en campagne.
Le fourrier se déplace en effet avec sa petite escouade avant la compagnie dont il va préparer le cantonnement ou reconnaître les positions à occuper. Il arrive bien souvent une demi-journée avant la compagnie. Avec les données du J.M.O.il vous est aisé de vérifier tout cela
D.D. : Et vous n'avez jamais trouvé une variation entre ce qu'avait écrit Loeiz Herrieu et ce qui était consigné dans le J.M.O ?
D.C. : Jamais. C’est rigoureusement la même chose. Bien sûr des événements sont signalés au J.M.O. dont Loeiz ne fait pas mention puisqu’il n’a pas eu nécessairement à les connaître : il ne faisait pas route avec la compagnie, il ne prenait pas nécessairement le même chemin. Allant ainsi à trois ou quatre – le sergent (Loeiz), le caporal fourrier, un homme ou deux – il leur arrivait souvent de prendre des raccourcis. On trouve ainsi dans le carnet : «Ce matin il faisait froid, les routes étaient gelées mais heureusement ça ne glissait pas» alors que le J.M.O. relate une marche difficile sur le verglas ; la chose est parfaitement possible : les routes ne sont devenues glissantes qu’avec le lever du jour, heure à laquelle Loeiz et les siens sont rendus au cantonnement. C’est tout bête, mais il faut savoir comment tout cela fonctionne.

Pour ce qui est du carnet, on en revient encore à Norton-cru : sa valeur de témoignage, son authenticité se mesure à la précision avec laquelle sont données les informations relatives au temps et aux lieux. Plus la relation contient de notations de ce type, plus on pourra le considérer avec intérêt. Dans quel secteur du front se trouve-t-on ? Dans quelle ville ou village ? A quel endroit écrit-on ? Où se trouvent les cuisines ? Dans quel abri est-on ? … Plus le carnet fourmille d’indices plus le témoignage est proche de la réalité. Ceux qui ont lu Kammdro connaissent la précision avec laquelle Loeiz situe tous les événements ; il va souvent jusqu’à nous donner l’heure. Nous avons là un témoignage exceptionnel. Exceptionnel aussi par la langue dans laquelle il est écrit : 620 correspondances de guerre en breton, et de la main du même homme à son épouse. Peut-on trouver mieux ? J’en doute.
Le carnet apporte donc une foule de détails relatifs aux dates et aux lieux. La correspondance privée le complète par des annotations concernant les personnes rencontrées, les soldats côtoyés (150 noms pour le seul 88°,  sans parler de ceux des autres unités) dont il annonce la rencontre, souvent fortuite, à sa femme : «Aujourd'hui, j'ai vu untel de Port-Louis, untel de Plouay… » Kammdro contient moins de noms de personne, c’est vrai
Entre le carnet original et sa forme éditée – autrement dit Kammdro – Loeiz n’a pas changé les événements, du moins pas de manière significative. Quelques-uns n’ont pas été rapportés sans que l’on puisse même proposer une explication au-delà de celle qui peut contraindre l’auteur à se censurer lui-même : l’obligation de « passer » dans le cadre des pages réservées dans Dihunamb. Inversement, on rencontre dans Kammdro, tout aussi rarement c’est vrai, des événements qui ne sont pas relatés dans le carnet…
D.D. : Peut-être s’en est-il souvenu par la suite ?
D.C. : Je ne le crois pas. Dans deux cas, je croirais même assez volontiers que l’envie de céder, pour une fois, au conformisme en donnant aux lecteurs ce qu’ils attendent en matière de souvenirs de guerre, a conduit Loeiz à ajouter quelque chose de nouveau dans son récit. En 1917, au moment du repli stratégique des Allemands – manœuvre dont ni Loeiz ni les autres soldats n’avaient alors compris la raison, le 88° occupe le terrain laissé libre par l’ennemi et entre dans des villages où se trouvent des civils que les Allemands n’ont pas déportés lors du recul. Herrieu raconte qu’alors qu’il a été invité à boire un verre dans une maison occupée par une femme et sa fille, la porte s’ouvre livrant passage à un jeune soldat : le fils de la maison, dont on n’avait pas eu de nouvelles depuis le début de la guerre…
Ce récit n’apparaît ni dans le carnet ni dans la correspondance… Par contre la scène est des plus classiques dans la littérature de guerre et les lecteurs s’y retrouvent bien…
Il y a également cette affaire du capitaine qui fait ses besoins dans l’abri tant il a peut de s’exposer au danger en sortant. On est devant Massiges ; le capitaine Césari ch… sur un morceau de papier et charge son ordonnance d’évacuer la… commission à l’extérieur ! Pas de trace dans le carnet où, comme dans la correspondance d’ailleurs, Césari ne fait l’objet d’aucune remarque désobligeante, au contraire. Une anecdote qui vient renverser le portrait dressé. Mystère…
D.D. : En tout cas rien de très important ?
D.C. : Absolument ! Un fait minime, purement anecdotique, reconnaissons-le !...
Nous n’avons en breton aucun témoignage sur la grande guerre de la valeur de celui de Loeiz Herrieu. En français comme en allemand, à ma connaissance, pas davantage.
D.D. : Voilà pour le témoignage historique. Et pour ce qui est de l'homme qu'avez-vous découvert ? Avez-vous été surpris ?
D.C. : Oui, le plus surprenant a été de découvrir la personnalité de l'homme. L’abbé Lohier - «Mab er Hlohour» - avait écrit dans la revue «Bro Guéned», en mai 1953, après le décès de Loeiz Herrieu : «Loeiz Herrieu n'était pas un homme comme les autres. »
C’est vrai. Mais ce n’est pas davantage – et c’est justement ce portrait qu’on en dressait qui m’avait poussé à m’intéresser à lui - l'homme que j’avais entendu décrire, à la fin des années 1970, par nombre de ceux qui l’avaient connu comme une sorte de héros légendaire, inégalable :

« Mais quel homme était donc Loeiz Herrieu ? »
« Ah ! celui-là c'était un homme !…Et Dihunamb !… »
« Oui, mais quel homme ? »
« Dame, celui-là était un homme qui a travaillé… »
Pas grand chose d’autre en dehors de cela ; on ne vous disait rien de sa personnalité. Ceux qui l’avaient côtoyé, rencontré n’en connaissaient que le côté militant patriote breton ; et encore s’agissait-il du patriote tel qu’il était à la fin de sa vie, pas du tout le patriote d’avant la guerre de 1914. Derrière l’image du héros vivant, de la statue du commandeur qui s’était imposée à eux, ils n’avaient pas approché l’homme. L’image qui sans cesse revenait était finalement celle du Barh-Labourer appuyé sur sa bêche au milieu de son champ. Or, lors de la réalisation de mon mémoire de maîtrise consacré aux dix premières années de la revue Dihunamb, j’avais eu l’occasion de rencontrer les enfants de Loeiz ; en particulier Gwénael et sa femme, Geneviève. Au cours de ces rencontres j’avais pressenti que Loeiz ce n’était pas exactement cela. Pour eux non plus, leur père n’était pas un homme ordinaire ; pas parce qu’il était leur père mais parce qu’il était différent des hommes du commun par le comportement, la tournure d’esprit, sa manière d’appréhender la vie… C’est vrai : j’ai découvert un homme dont je n’aurais jamais pensé qu’il ait pu aller si loin dans ses engagements. Un homme d’une pièce, passionné !
Au travers de la correspondance j’ai approché l’homme privé, bien différent de l’homme public. Ce fut un vrai soldat fidèle à son devoir ; ce sentiment du devoir autour duquel s’articulent décisions et comportement durant la guerre comme dans toute la vie ordinaire.A 20 ans, il s’était découvert un idéal : servir son pays et travailler pour le breton ; il se fit un devoir d’agir en ce sens et ce devoir de jeune homme devint celui de toute une vie. On peut ruiner le travail de Loeiz, on peut lui nuire autant qu’on veut et quand on veut, il reviendra toujours à ce qu’il considère comme son devoir quoi qu’il lui en coûte.
La mobilisation lui impose un devoir impérieux : celui de terminer la guerre et de la gagner. Là, il est proche du sentiment de la plupart des soldats. Dire que les hommes étaient prêts à mourir pour l'Alsace et la Lorraine est faux : nous savons que la majorité se fichait pas mal de ces deux provinces. Par contre, il est certain qu’ils étaient convaincus avant la guerre qu’il allait falloir se remesurer avec les Allemands les armes à la main. C'était sûr ; l’école, l’église les avaient formatés. En 1914, tous répondent à l’appel avec une seule pensée : «Puisque c’est à faire, autant vaut y aller tout de suite. Une chose faite n’est plus à faire. Il faut les repousser. On ira jusqu’au bout. On fera notre devoir». Ce n'est pas moi qui le dis, mais les historiens qui travaillons actuellement sur la guerre 14. Et Loeiz est comme les autres. 
Pour ce qui est de l'Alsace-Lorraine, il faut bien dire que la question n’est pas centrale en 1914 ; elle le deviendra en 1917, lorsque les Américains qui entrent dans la guerre demanderont aux alliés : « Quels sont vos buts dans cette guerre ? » L’objectif de la France était d'abattre l'Allemagne en tant que pouvoir économique et politique ; les U.S.A ne pouvant accepter une telle déclaration, les hommes politiques français introduisirent alors des clauses territoriales parmi lesquelles figurait la restitution des provinces perdues en 1871. La demande était politiquement plus acceptable et extrêmement facile à faire adopter par l’opinion publique française.

Loeiz Herrieu fait donc son devoir de citoyen français.
Autre exemple de fidélité intransigeante au devoir : Dihunamb ! Née en 1905, arrêtée fin 1914, ressuscitée en 1921 malgré les difficultés ; détruite à nouveau en janvier 1943 et remise en route trois mois plus tard. Même ce qui peut apparaître comme un arrêt définitif à l’été 1944 ne l’empêche pas de dire et d’écrire à ceux qui l’interrogent là-dessus deux ans avant sa mort : «J'attends, maintenant que je suis arrivé à Auray, j'attends d'avoir à nouveau un peu d'argent, un regain de force et Dihunamb revivra».
La nécessité d’accomplir son devoir est profondément inscrite dans son cœur et dans son esprit : lorsque vous avez choisi un but vous vous faites un devoir de l’atteindre et vous y œuvrer coûte que coûte. Là réside l’acceptation des souffrances liées à la guerre qu’il endure avec résignation ; là et dans un autre devoir tout aussi impératif qui lui est lié : le devoir du chrétien.
Tout le monde savait que Loeiz était bon chrétien et bon catholique ; la nouveauté est que personne n’avait supposé qu’il était allé aussi loin dans l’observance du devoir. Bien plus loin que les prêtres qui ont participé à la guerre. S’il partage bien sûr la position officielle de l’église, il tient à l’assumer pleinement, sans concession. Les hommes sont responsables de la guerre ; Dieu, en permettant qu’elle éclate, a étendu sa main sur l’homme pour lui faire sentir sa colère ; cette colère ne s’apaisera, cette main vengeresse ne se lèvera que lorsque les sacrifices auront racheté les fautes anciennes ; alors la paix reviendra. Qui peut œuvrer pour hâter cet instant ? Qui peut apaiser la colère divine ? Les justes, les purs ; pas les méchants. On aura beau tuer les hommes par milliers, ce n'est pas cela qui arrêtera la guerre, ce n'est pas cela qui inclinera Dieu à relever sa main. Il ne le fera que lorsque les bons, ceux qui supportent le châtiment avec patience et résignation, auront payé la dette de l’humanité pécheresse. Montrer qu’on consent à vivre cette épreuve sans rechigner, qu’on s’y résigne en chrétien c’est lui faire face, ne pas chercher à s’y soustraire ; autrement dit rester dans la guerre.
D.D. : Là serait donc la raison pour laquelle il ne serait pas venu en permission de toute la guerre ?
C'est l’une des raisons. Il y en a plusieurs…
Vouloir se planquer, se défiler c’est vouloir se soustraire à la colère divine. Ce qui équivaut à se soustraire à son devoir. Se plier à la volonté de Dieu est la meilleure chance qu’on ait de s’en tirer, le mieux qu’on puisse faire pour hâter la paix. Il n'y a pas d'autre issue. Loeiz est allé au-delà du discours : il s’est fait un devoir de le mettre quotidiennement en pratique. Devoir auquel il va lui être extrêmement difficile de tenir ; devoir dont les conséquences sont encore plus difficiles pour les siens à la maison.

  D. D. : On lui demandait de venir en permission ?
 D. C. : Bien sûr. Sa femme ne comprend pas son refus. Elle ne comprend pas son attitude. Loeiza est un modèle d’épouse ; Loeiz ne pouvait en espérer de meilleure. Il est même possible que, si elle n’avait pas été là après la guerre, le Barh-Labourer ait dû abandonner totalement son œuvre bretonne. Car, disons-le tout net, s’il put continuer d’agir en Barh, c’est parce qu’elle se chargea de la part du… labourer. C’est elle qui a conduit la maisonnée, qui l’a gérée au quotidien.
Elle a certainement eu du mal à faire face à l’ensemble des travaux de la ferme au début de la guerre. Mais, peut-être, moins que bien d’autres femmes, car elle en avait déjà une expérience depuis son mariage. C’est à la ferme, à l’entretien de la maisonnée qu’était sa place. Une place à laquelle elle avait consenti le jour de son mariage et que lui rappelaient les trois mots gravés dans son alliance : «Dieu, Bretagne et ma Vedig»… Des trois idéaux que son mari veut s’imposer de servir, des trois devoirs majeurs qu’il se donne, elle a accepté de n’être que le troisième… Demandons-nous un peu lequel, parmi les militants bretons de cette époque, ceux que l’on considère maintenant comme des personnages importants de notre histoire, auraient fait de même. Beaucoup auraient sans doute mis Dieu en premier, mais combien auraient placé la Bretagne avant leur épouse ?…
  D. D. : Ça rappelle Le Joubioux : «Dieu et ma patrie»… Il est vrai que lui n’était
pas marié !
 D. C. : En effet !... Loeiz Herrieu et le mariage, ça mérite une petite digression. Il faut se souvenir qu’il a 31 ans au moment où il se marie ; à l’époque c’est déjà un peu tardif… Disons qu’il ne s’est pas pressé. Il est même probable que, pendant un certain temps, il se soit dit qu’il valait mieux rester célibataire. Il a finalement choisi Loeiza qui l’admirait en secret depuis 1905 au moins ; il la savait prête à le soutenir dans son engagement. On sait combien sa sœur Marie en fut chagrinée ; Marie qui aimait Loeiz depuis longtemps et qui, sans doute, s’était déclarée si l’on en croit une lettre que lui adresse Loeiz : «Non, je ne songe pas à me marier. Je ne suis même pas certain de vouloir me marier un jour». Le fait est également attesté par le témoignage de Gwennael : «J’ai toujours entendu dire que ma tante avait pleuré toutes les larmes de son corps le jour où mon père a épousé ma mère». Marie s’était mariée quelques mois plus tôt.
Vedig, une fois mariée, a cessé d’écrire. Elle a repris la plume pendant la guerre ; pour prendre le relai de son mari ; par devoir d’une certaine façon. Elle a surtout écrit des cantiques, des poèmes.
  D. D. : Faire son devoir comme son mari ?
 D. C. : Absolument. Elle écrit ; elle prie… Pour en revenir à Loeiz justement, et je crois que c’est un trait chez lui dont j’ai pris la mesure, il faut dire que c’est un homme de devoir. Un homme sensé, qui ne fait rien à la légère, comme le notent les officiers sous les ordres desquels il a servi : ««Homme d‘un très grand sang-froid, collaborateur modèle». Ce qui doit être fait est toujours exécuté très consciencieusement, le mieux possible ; pas question de se défiler ni de chipoter.
Le soldat Herrieu ne récrimine pas, se plie à la discipline. Il n’est pas de ceux qui discutent les ordres, se dressent contre les officiers… Ce n’est pas l’image qu’il donne de lui dans Kammdro ? C’est vrai ! Mais il faut se garder de conclure trop vite, trop globalement. Il n’a, effectivement, aucune considération pour les les sous-officiers, les officiers – du moins pour certains d’entre eux – à cause de l’inculture, du manque de savoir-vivre dont ils font preuve. Ce ne sont pour lui que de «pauvres types» chez qui l’intellect ne vit pas, des «minables» qui ne peuvent s’élever au-dessus d’un quotidien bas et trivial. C’est cela qui nourrit le mépris qu’il leur porte. Ce n’est pas pour autant qu’il se dresse contre l’autorité et l’ordre qu’ils représentent. Pas du tout !...
Ce respect de l’ordre, de l’autorité est une constante chez Loeiz, et cela se vérifiera encore après guerre. Si on le trouve, par exemple, critiquant vertement et ouvertement l’église pour le manque d’empressement avec lequel elle soutient la langue bretonne, jamais on ne le verra aller jusqu’à dire à ses lecteurs : «Et bien, vous qui êtes comme moi de chauds partisans du breton, nous nous rassemblerons tel ou tel jour devant tel ou tel presbytère…» Jamais d’appel du type : «Tel ou tel jour nous manifesterons à tel ou tel endroit pour…» Non, jamais ! La loi est la loi ; l’autorité est l’autorité. Bien sûr, vous avez le droit de penser que la loi est mauvaise, qu’elle a été mal faite. Vous, vous n’y êtes pour rien, mais vous savez que les promoteurs de la dite loi ne peuvent qu’être mauvais et que, comme tous les méchants, ils subiront un jour un jour le châtiment de Dieu. Vous pouvez donc ne pas adhérer à l’esprit de la loi, mépriser même la personnalité de celui qui la représente, mais cela ne vous donne pas le droit de faire comme si elle n’existait pas et vous êtes tenu de la respecter ; du moins tant qu’elle ne contrevient pas aux commandements de Dieu…
Cela vaut bien entendu pour toute autorité sur des subalternes, pour le devoir contre lequel on ne doit pas se dresser. Loeiz n’a pas été témoin direct des désobéissances en 1917, des manifestations de soldats refusant de marcher, mais il donne son sentiment sur un événement un peu semblable qui avait eu lieu en 1916. C’est très clair dans son carnet de guerre : «Ils [les soldats]ne sont pas allés bien loin. Les gendarmes les ont ramassés et les ont ramenés. C’est bien fait. Qu’est-ce qui leur a pris, aux autres, d’agir ainsi ?»
En 1917, ce sont les femmes, les ouvrières des grandes usines dans la région parisienne et ailleurs, qui se mettent en grêve. Sans doute Loeiza lui a-t-elle écrit qu’à l’arsenal aussi il y a des conflits ; il répond : «A quoi cela peut-il bien rimer ? N’importe comment, il suffit de faire intervenir la troupe et tout cela rentrera dans l’ordre. Ça ne sert à rien»…. En fait, ce ne sera pas inutile du tout : les salaires vont être augmentés, les conditions de travail améliorées, mais Loeiz n’évoquera plus l’affaire par la suite. [………]
Respectueux des ordres et de l’autorité, certes. Ce n’est pas pour autant qu’il abdique sa personnalité comme le feront bien d’autres mobilisés. Beaucoup se laisseront en effet glisser, jusqu’à en être profondément imprégnés, dans cette nouvelle société née de la guerre et de la vie du front. Loeiz veut rester lui-même. Il se refuse à se laisser influencer, ne veut changer ni sa manière de penser, ni sa manière d’être. Il se veut inflexible.
  D. D. : Finalement, d’une certaine manière, on peut dire qu’il a bandonné sa
famille durant la guerre de 14. Il ne l’a pas revue une seule fois durant
pratiquement cinq années. Cela n’a-t-il pas été préjudiciable aux relations entre
les époux ? Entre le père et les enfants ?
 D. C. : C’est difficle à dire. La fin de la guerre, le retour ont marqué aussi la fin du courrier entre les époux, la fin des carnets de notes ! … La réponse à cette question tous deux l’ont emportée dans l’autre monde. Il n’en reste pas moins une certitude : cela a été une épreuve très cruelle pour la famille, en particulier pour Loeiza.
 
D. D. : Combien d’enfants avaient-ils en 1914 ?
 D. C. : Deux. Gwennael et Hervé. Mais il faut encore se garder de juger trop vite, de manière abrupte comme cela. On touche là une question importante qui n’a jusqu’ici jamais été complètement éclaircie et si mon travail y a déjà un tant soit peu contribué, il n’a pas été complètement inutile.
Loeiz a toujours dit aux siens – et cela est resté dans la famille jusqu’ici : «Si je ne viens pas en permission c’est parce que j’ai eu trop de peine à me séparer de vous une fois déjà. L’idée de revivre cela me fait peur et je crains, si j’y retourne une fois seulement, de ne jamais pouvoir repartir pour le front». La dureté, l’inflexibilité de l’homme n’empêchent pas une grande sensibilité. Il se méfie de cette sensibilité – son éducation le lui a appris – qui jamais ne doit primer sur la raison. Le cœur, les sentiments doivent être maîtrisés. Le devoir, la raison priment. On s’en tient donc à ce qui a été mûrement réfléchi et délibéré. Ce qui est décidé est décidé. «Je me dois à mon devoir jusqu’au bout : tenir ici jusqu’à la victoire. Alors nous nous retrouverons pour vivre un amour sans partage. Si je venais maintenant en permission, je ne pourrais rien te donner»
On touche avec ceci l’importance que représente l’apport du courrier pour le chercheur : on ne trouve rien concernant les permissions dans Kammdro. Pourquoi ? La réponse est simple : l’affaire est strictement privée et n’a donc pas être mise sur la place publique. Elle ne concerne que les deux époux. «Je suis lié par un autre devoir»… Un devoir d’état – celui du citoyen mobilisé – auquel sa foi de chrétien – l’obéissance et la soumission à la volonté divine - l’oblige d’autant plus. Finir la guerre ; après, la vie reprendra
Il veut considérer la guerre comme une parenthèse ; ensuite les choses seront comme avant ! En fait il se trompe lourdement. Mais comment s’en rendrait-il compte, lui qui ne quittera jamais la zone des armées ?... Que recommande-t-il à sa femme qui le presse de revenir ? D’adopter la même attitude, tout simplement… [……] «Fais comme moi et tout ira bien ! Tu ne veux pas faire comme moi ? Tu souffriras, tant pis pour toi ! Moi, vois-tu, c’est ainsi que j’ai décidé d’agir et je ne m’en porte que mieux… Ça te fait de la peine que je ne vienne pas en permission ? Les gens médisent de toi ? Les gens t’interrogent ? Fais donc comme moi et réponds leur : «Oui, il n’est pas venu. Je ne l’ai pas vu depuis trois ans et je ne m’en porte que mieux !» Facile à dire ; mettre en pratique, n’en parlons pas !
Il dit, et nous n’avons aucune raison d’en douter selon les déclarations de ceux qui ont vécu la guerre à ses côtés :«Je suis, de toute la compagnie, celui qui se fait le moins de mauvais sang». Toujours jovial, insouciant, détaché. C’est l’image qu’il donne de lui-même ! En fait c’est une double guerre que mêne l’homme !... La guerre qu’il fait avec les autres – où il se montre donc jovial, de bonne compagnie, entretenant le moral ; en somme agréable à vivre – et une autre guerre, intérieure celle-là, au niveau du cœur et de la raison : une guerre à la guerre !... Rares sont les soldats qui se sont comportés ainsi. [………]
  D. D. : Justement, qu’en est-il des relations de Loeiz Herrieu avec ses
compagnons ? Le jour de la soutenance, vous avez dit qu’il semblait n’avoir noué
aucune véritable amitié ?
 D. C. : Absolument. Il fréquente tout le monde, mais c’est tout. Nous sommes là juste à la frontière entre ces deux mondes, entre ces deux guerres, ces deux hommes que j’évoquais à l’instant. Tout le monde est d’accord : dans les relations il se montre affable, d’un abord facile, optimiste. Mais, en fait, cette attitude d’humeur égale cache un conflit intérieur au niveau des sentiments – ne pas laisser parler son cœur - comme de la raison tendue vers un but : ne pas se laisser dominer par l’environnement, demeurer égal à ce qu’il était avant la guerre : le même chrétien, le même homme, fidèle aux mêmes idées et aux mêmes valeurs, se comportant de la même façon. Pas question de marchander !... Et cette attitude atteint parfois des sommets : il ne mange pas entre les repas car ce n’était pas son habitude, ne boit qu’en mangeant comme à la maison,…
  D. D. : Il bénéficie d’un autre régime que celui des soldats ordinaires ?
 D. C. : Oui, la nourriture est meilleure, plus abondante et les repas plus réguliers. Ce n’est pas encore le régime des officiers mais enfin, comme fourrier, il n’est attaché à aucune section, ne cantine à aucune escouade puisqu’il est attaché au bureau de compagnie. Les sous-officiers se retrouvent à table, 12 ou 14 convives parfois ; ce que l’on appelle la «popote»… Et puis, n’oublions pas qu’il est allé jusqu’à refuser des paquets qu’on lui adresse depuis la maison !
  D. D. : Des paquets que sa femme lui envoie ?
 D. C. : Oui, oui ! De la nourriture, des effets… Il les refuse.
  D. D. : Il renvoie les paquets à la maison ?
 D. C. : Ça s’est produit !
 D. D. : Pourquoi ?
 D. C. : «Je mange à ma faim ! Inutile de m’envoyer quoi que ce soit». Fermez le ban !...
  D. D. : En agissant ainsi, en refusant les colis, il blesse certainement son épouse !
 D. C. : Certainement qu’il la blesse !... Mais, commpe je le disais tout à l’heure : «Fais comme moi et tout ira bien. Si tu ne fais pas comme moi, tant pis pour toi !» Il est clair qu’il fallait qu’elle soit solide, la pauvre femme. Il fallait tout de même encaisser !... Elle a souffert, a perdu plusieurs fois courage, a connu des moments dépressifs. Mais, pour en revenir aux colis, la règle est simple : «Ne m’expédie que ce que je te demande !» et cela vaut pour les vêtements comme pour les chaussures et tout le reste. Et la consigne est immuable ! [……..] Ne pas s’y plier c’est , sinon risquer le retour à l’envoyeur, du moins être assuré d’encourir les foudres de Loeiz dans un prochain courrier. S’il demande un caleçon, ne pas en mettre deux. Une livre de beurre tous les quinze jours, pas une livre et demie !
  D. D. : Il précise à ce point-là ?
 D. C. : Et comment ! Quand le soldat fait généralement part de son plaisir à recevoir les colis, à partager avec les autres, Loeiz dit : «M’envoyer juste ce qu’il faut» en précisant : «Qu’est-ce qui pourrait bien me pousser à mettre sur la table commune ce que vous me faites parvenir de la maison ? Je n’ai que mépris envers mes commensaux» !
  D. D. : Même à l’égard de ses commensaux ? A l’égard des autres sous-
officiers ? Est-ce à dire que parmi eux il n’y en avait aucun avec lequel il se serait
senti des points communs ?
 
D. C. : Il s’est certainement senti plus proches de certains que de d’autres. Mais de là à ce qu’il se soit vraiment ouvert à quelu’un, je ne le crois pas. On le sent plus près de gens comme l’adjudant-chef Vramant, infirmier au bataillon, mais rien de certain. Il parle évidemment souvent de Lafabrier, le sergent fourrier des premiers mois de guerre, comme de Gauffriand qui lui succèdera comme caporal-fourrier ; cela ne signifie pas amitié réelle et profonde. Les relations avec l’abbé Le Moigno, brancardier et aumônier volontaire du 88°, semblent se limiter au strict cadre de la pratique religieuse bien qu’ils se connaissent très bien et depuis longtemps. [……..] En fait Loeiz croyait sans doute, s’imaginait du moins, que la plupart de ces hommes se laissaient trop facilement contaminer par l’environnement né de la guerre ; il fallait donc qu’il tienne ses distances. Il ne fallait pas compter sur eux pour hâter la paix – autrement dit pour hâter la clémence divine ; au contraire : par leur attitude ils ne faisaient que prolonger la guerre.
  D. D. : Et les siens, à la maison ?
 D. C. : Quand les siens se plaignent d’être fatigués, la réponse de Loeiz est toute prête : «Pourquoi venez-vous vous plaindre à moi ? Si vous êtes malades, c’est de votre faute. Combien de fois vous ai-je dit de ne pas vous tuer au travail ! Vous ne m’écoutez pas ! Vous vous épuisez au travail… Ne vous en prenez qu’à vous».
  D. D. : Enfin, ce que fait Vedig est forcément indispensable, non ?
 D. C. : Non, pas toujours. Il faut comprendre. Les paysans se sont enrichis durant la guerre de 14 ; du moins ceux qui ont pu continuer à produire. Les petits pois, les légumes, tout cela se vend très bien. Mais au Cosquer Vedig est seule avec ses beaux-parents. Il est devenu difficile de trouver des journaliers : tous préférent aller s’embaucher en ville ou à l’arsenal où les salaires sont bien meilleurs. La main-d’œuvre s’est raréfiée dans les campagnes. Ceci explique que les parents de Loeiz, tout comme Loeiza sans doute, ne ménagent pas leur peine en pensant au profit qu’on peut en tirer. Loeiz qui, rappelons-le, ne veut voir dans la guerre qu’une parenthèse, a un tout autre discours : «Ce qui compte pour moi c’est faire mon devoir et rentrer sain et sauf à la maison. Vous, votre devoir est de vous conserver en bonne santé afin que je vous retrouve tous à mon retour, quand la guerre sera finie, pas avant. Alors, nous serons à nouveau tous réunis». C’est ainsi qu’il voit les choses jusqu’à la fin.
  D. D. : Finalement c’est l’analyse du courrier qui révèle cela. Pour en revenir
justement au courrier : qu’en est-il du breton utilisé ?
 D. C. : Il utilise la langue de tous les jours ; une langue assez proche finalement du breton qu’on lira dans Dihunamb ; pour Kammdro c’est différent puisqu’il y a eu un gros travail sur le texte.
En fait, c’est comme s’il s’entretenait, conversait directement avec sa femme. Au-delà bien entendu d’une évidence : ce sont des lettres et, en tant que telles, elles obéissent à un certain nombre de règles et d‘usages. Il rédige d’un jet, sans ratures ni rajouts… Un homme habitué à écrire, qui domine sa langue, qui pense dans la langue qu’il écrit… Il écrit de 5 à 10 lettres ou cartes par jour ; du moins au début de la guerre, moins par la suite. Il entretient une correspondance assez suivie avec des gens comme Vallée, Le Berre, l’abbé Buléon – le recteur de sa paroisse, St-Joseph du Plessis - Berthou, Mellac… Evidemment la plupart de ce courrier-là doit être aujourd’hui perdu. Il correspond aussi avec le reste de la famille et les voisins : les Le Meliner, les Rio, les Goulian, le Dr garrec, Sten Le Bayon et sa femme, Jean Choleau, etc…Entre 5 et 10 lettres par jour.
  D. D. : Ces lettres n’étaient pas contrôlées par la censure ? Pas de problème dans
l’usage du breton ?
D. C. : Non. Rien de visible le concernant en tout cas. C’est vrai que j’en ai été moi-même assez étonné. Je n’ai rien trouvé portant la mention «Ouvert par la censure» ; aucun «caviardage», comme l’on dit.
Plus de 98% du courrier à sa femme est rédigé en breton. Y avait-il des gens aptes à lire cette langue au bureau de la censure ? Impossible de le dire. Disons cependant que le courrier des soldats est lu – du moins une partie plus ou moins importante selon les événements – au bureau du bataillon. Chaque bataillon comptait quatre compagnies, soit environ 1.000 hommes. 4 sergents avaient pour tâche quotidienne de… sonder les courriers en partance pour l’arrière. Evidemment, on regardait de plus près la correspondance des soldats qui, de par leur position ou leur emploi, se trouvaient en mesure de livrer des informations compromettantes. Ce n’est pas du tout le cas pour le régiment de Loeiz. On fait aussi attention à ne pas laisser filtrer les choses trop démoralisantes (récits d’horreurs,…) ; le 88° est affronté à cela tous les jours : inhumer les morts, nettoyer les champs de bataille… Certaines scènes sont loin d’être ydilliques !... Mais, il faut bien voir là encore que Loeiz et les 4 sergents se connaissent : ils se fréquentent quotidiennement ; la confiance ne peut que rêgner. Il cotoie le vaguemestre au moins une fois par jour quand celui-ci passe chercher – auprès de Loeiz – tout le courrier de la 3° compagnie. […] Et puis, quel genre de secret aurait-il pu divulguer ? Quand le fourrier Henrio se déplace, avant sa compagnie par exemple, il lui arrive régulièrement de jeter des cartes dans les boites rencontrées sur son passage. Dans le secteur des armées on trouve des boites de la «Poste aux Armées», un peu comme il en existe chez nous pour la poste civile. Le problème c’est le secteur postal : quand vous en changez vous devez préciser à quel régiment vous appartenez. Si vous postez votre lettre dans le secteur 4 alors que votre régiment stationne dans le secteur 3 votre lettre risque d’être lue. C’est pourquoi, Loeiz écrit alors en français, pour éviter d’éventuels ennuis ultérieurs. Ces courriers sont généralement très brefs et de peu d’importance : : «Tout va bien. Bonne santé. Suis en marche. Ecrirai plus long demain».
Avant le déclenchement d’une offensive – dans la Somme, par exemple, le 1° juillet 1916 ; ou bien encore devant Massiges en 1915 – il écrit également en français car il sait que le courrier va être davantage épluché. Ou bien alors il commenc en français, et, brusquement, passe en breton dans le cœur de la lettre.
D. D. : Parmi ces sergents, n’y en avait-il pas de spécialement chargés de lire le
courrier en breton ?
 D. C. : Non, pas que je sache. D’ailleurs, qui tenait une correspondance en breton ? Une lettre de temps en temps peut-être… Certes, nombreux sont les soldats qui emploient le breton pour faire savoir à l’arrière des choses qu’ils préfèrent taire en français. On trouve ainsi, dans le courrier de Hervé Deparscau du Plessis, des phrases en breton qui viennent contredire ce qui vient d’être écrit en français ! S’il a dit, par exemple : «Tout va bien, nous n’avons pas eu beaucoup de pertes», vous trouverez quatre ou cinq lignes plus bas, sans qu’aucun signe de ponctuation ni majuscule ne le laisse supposer, au cœur même du texte afin de mieux déjouer la censure : «Kalz a dud ’zo marvet» (= Nous avons eu beaucoup de morts). Vous voyez que le son de cloche est nettement différent.
  D. D. : Loeiz ne procède pas ainsi ?
 D. C. : Non, jamais. C’est également une pratique qu’on trouve chez Pierre Couriaut, de Baud : «Tout va bien. Ne t’en fais surtout pas. Poan a zo» (= Quelle misère). Beaucoup de soldats ont fait cela ; pas Henrio.
  D. D. : Pour conclure ,
 D. C. : Pour conclure, je reprendrais volontiers la conclusion de mon travail de thèse. J’ai découvert un homme d’une grande rigueur, d’une rigidité certaine ; un chrétien attaché à la pratique religieuse, un époux fidèle, un père de famille attentif à l’éducation de ses enfants ; un personnage qui entend vivre pleinement selon ses idéaux, pour qui priment les valeurs de l’intelligence et de l’esprit ; un homme d’une très grande droiture. Un homme qui s’est efforcé de traverser la guerre en restant debout.
Son témoignage demeure très largement méconnu, autant des bretonnants – au-delà d’un petit nombre – que des Bretons monolingues français. C’est très dommage, et il est grand temps de publier les notes et la correspondance pour le bien des bretonnants d’aujourd’hui ; comme il est tout aussi temps et tout aussi nécessaire d’en traduire une partie dans des langues très répandues comme l’anglais, le français, l’allemand…
  D. D. : Merci, Daniel !
 Recueilli à Kalan, en Brec’h, le 18 août 1999 par Daniel Doujet.
 

 

 

Kamdro an Ankeu (au tournant de la mort)

LA GUERRE DE 14

Loeiz HERRIEU part à la guerre le 5 août 1914, fourrier au 88 ème régiment territorial d'infanterie. Il ne reverra la vallée du Blavet que 5 ans plus tard, le 5 février 1919. Il fut sur beaucoup de fronts. Loeiz à la guerre, « Dihunamb » ne paraît plus: il faudra attendre 1921.

Il resta 5 ans sans revenir à la maison, sans demander la moindre permission, peut-être pour avoir remarqué que beaucoup de ceux qui revenaient, déshabitués du front le temps d'une escapade au pays, trouvaient souvent la mort à leur retour. Ses supérieurs ne trouvèrent que du bien à dire du soldat Henrio.

Loeiz HERRIEU, Kamdro en ankeu (Au tournant de la mort)


Journal de guerre de Loeiz HERRIEU

Mestr-oberenn Loeiz HERRIEU ? Marteze KAMDRO EN ANKEU.
ABEOZEN

Je n'aime pas les souvenirs de guerre. Mais ici nous sommes en présence d'un document, sans cocarde, rédigé avec sérénité. Et c'est écrit, et non bâclé. Un de ces livres qui font, non l'orne­ment, mais l'honneur d'une bibliothèque.

Youenn DREZEN

Ur peizant, ur Breizad, é komz splann ha didro ag (eus) ar brezel, ag an ofiserion, ag ar Fransizion, ag an Alamaned, a soudarded Breiz, etc … Ur spered digabestr é varnein an darvoudoù ged skiend-vad ha furnez. Setu Loeiz HERRIEU én é lévr KAMDRO EN ANKEU.

P. TREMEUR

KAMDRO EN ANKEU est l'un des documents les plus précieux jamais écrits sur l'"Autre Guerre", celle de la boue.

X. DE LANGLAIS